À vrai dire, jusqu'à fin 2014, les banques commerciales algériennes se contentaient, s'agissant des opérations de commerce extérieur, de jouer le rôle de simples caissiers. La gestion des devises, pour régler les importations des biens et services, était en réalité sous l'autorité de la Banque d'Algérie, les banques commerciales ne jouant simplement qu'un rôle de relais. Ceci parce que les latitudes données par la Banque d'Algérie aux banques commerciales au profit de leurs engagements extérieurs dépassaient largement les demandes de financement des importateurs ; donc sans contraintes. Mais cela c'était avant. Car sous la forte pression de la diminution de nos moyens de paiements extérieurs résultant de la baisse de nos revenus pétroliers, les marges de manœuvres financières se sont rétrécies brutalement depuis juin 2014 pour une période encore indéterminée. Nous verrons que les conséquences de cette tension sur les équilibres extérieurs se répercuteront sur le système bancaire à trois niveaux essentiels qui, conjugués, entraîneront forcément la mutation tant attendue de ce dernier. Tout compte fait, c'est dans cette situation de crise que la réforme du système bancaire dont on parle depuis des années semble s'amorcer, car incontestablement les lignes commencent à bouger quant au nouveau rôle assigné au système bancaire. Comme on dit : "À quelque chose, malheur est bon". Rappel des faits et éléments d'analyse. Au début de l'année 2015, le gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Laksaci, réunissait les PDG des banques et établissements financiers pour leur adresser le message suivant : D'abord il leur confirme la division par deux du ratio prudentiel, qui passe de 4 à 2 pour "contenir les risques liés à l'implication des banques dans le financement des importations dès 2015, afin de contribuer à préserver un niveau approprié de stabilité financière en Algérie face à un environnement économique mondial porteur de risques à la hausse". En d'autres termes, le potentiel d'engagements extérieurs des banques commerciales est réduit de moitié. Ensuite il met en avant le rôle de contrôle des opérations de commerce extérieur des banques commerciales, car il faut reconnaître qu'assez souvent ces dernières n'étaient que des "sleeping partners" en la matière. Aussi leur dit-il que "vu l'acuité probable du choc externe en 2015, il est attendu des banques le strict respect de leurs obligations en tant qu'intermédiaires agréés, au titre des opérations de commerce extérieur et de change, dans le cadre de la convertibilité plus grande du dinar". Ce qui implique le renforcement des capacités de contrôle interne de la part des banques primaires et de contrôle institutionnel par la Banque d'Algérie. Troisième aspect de la mutation attendue du système bancaire, celui de sa contribution plus significative à l'investissement public et privé. Le traitement de cette question est plus complexe et plus délicat qu'il n'apparaît à première vue. Les surliquidités bancaires définies comme "excédents des ressources sur les emplois" ont revêtu un caractère structurel pour deux raisons. La première raison est due à une épargne importante et récurrente provenant des contreparties en dinars des recettes pétrolières et de l'épargne des ménages dont le taux de croissance est à deux chiffres ; la seconde raison renvoie à la faiblesse de la demande d'investissement. De plus le "placement à terme" de ces surliquidités, rémunéré et revu à la hausse par la Banque d'Algérie, conforte cette situation de non-affectation de ces ressources aux investisseurs publics et privés. En vérité, les deux autres mécanismes d'intervention de la Banque d'Algérie vont dans le même sens et portent plus sur la maîtrise de l'inflation que sur le soutien à la croissance. Il s'agit, vous l'aurez compris, de l'augmentation des montants des réserves obligatoires et de celle du taux de reprise des liquidités des banques et autres établissements financiers. N'étant pas de ceux qui considèrent particulièrement cette résorption de liquidités par la Banque d'Algérie comme "une performance économique", le problème reste entier. C'est le fameux débat récurrent, à travers le monde, sur la mission principale d'une banque centrale : contenir l'inflation ou soutenir la croissance ? Si cette question est tranchée au profit du soutien à la croissance, il faut que l'on puisse estimer le montant de ces excédents bancaires. En 2009, le secrétaire général de l'Abef avait indiqué un niveau de 50 milliards de dollars. En 2014, des sources universitaires (Souhila Benzegane, assistante à l'université de Tizi Ouzou) donnent un chiffre variant entre "34 et 40 milliards d'euros", soit entre 38 et 44,7 milliards de dollars. Mais comme les banques sont astreintes, de par les règles prudentielles, à respecter un niveau de transformation plus faible que leurs ressources, les montants potentiels offerts à l'investissement seraient au-dessous de 30 milliards de dollars. On est malgré tout loin du compte pour assurer, avec ces seuls surplus bancaires, le financement des projets industriels déjà identifiés et un certain nombre de projets sociaux et d'infrastructures. D'autres mesures doivent suivre. Je crois savoir que le Conseil de la monnaie et du crédit (CMC) vient d'autoriser la réactivation du réescompte et du refinancement des banques. Au plan fiscal, l'amélioration de l'efficacité de l'appareil fiscal en termes de saisine de l'assiette et du recouvrement peut préparer une profonde réforme fiscale pouvant déboucher sur une amnistie fiscale incitative de nature à faire réintégrer dans le système bancaire l'essentiel des ressources monétaires non bancarisées à ce jour. Mais il faudra au préalable un débat social et politique inclusif de nature à construire les termes d'un consensus national sur cette question délicate et complexe et l'implantation ultérieure d'instruments fiscaux et bancaires prévenant le retour à la situation antérieure. On voit bien, pour conclure, que les solutions techniques de sortie de crise sectorielles (industrie, énergie, agriculture, services) et monétaires (bancaires, fiscales et budgétaires) existent. Mais pour qu'elles puissent être mises en œuvre avec succès, il faut qu'elles soient adossées à un large consensus social et politique qu'il faudra bien construire. Un jour. Mais le plus tôt serait le mieux. M. M.