Ayant prôné le dialogue avec l'ennemi israélien depuis les années soixante-dix, Mahmoud Abbas sera-t-il l'homme qui signera la paix avec l'Etat hébreu ? Tout semble indiquer qu'il sera l'homme du compromis. éternel second de Yasser Arafat, Mahmoud Abbas est aujourd'hui propulsé au devant de la scène. Sa présence à la tête de l'organisation de libération de la Palestine semble lui avoir donné des ailes. Il n'est plus ce responsable sans prérogatives qu'il fut en tant que premier ministre de Yasser Arafat. Prenant rapidement les choses en main, il bouscule les événements par son initiative visant à démilitariser la lutte contre Israël. C'est une première chez les Palestiniens. Est-ce le tournant tant attendu dans les relations israélo-palestiniennes, caractérisées par une lutte sans merci et une haine réciproque ? Parcours d'un homme de l'ombre prêt à se sacrifier pour la paix. Une enfance sans histoire… puis le déchirement Fils d'un épicier, qui tirait l'essentiel de ses revenus de l'élevage des brebis à Safed en Palestine, Mahmoud Abbas est né en 1935 dans une famille musulmane. Dans cette ville de 20 000 habitants dont, un millier de juifs, le futur chef de l'OLP a coulé des jours heureux jusqu'à l'âge de 13 ans. En mai 1948, date de la création d'Israël, Safed est bombardée par les forces armées juives. Terrorisées, les familles musulmanes fuient la région pour mener une longue vie de réfugiés. Ses parents, installés à Damas, Mahmoud Abbas poursuit ses études au lycée. Le cycle secondaire terminé, il entame des études de droit dans la capitale syrienne. Il obtient son diplôme en 1958. Durant les années quatre-vingt, il obtient un doctorat d'Etat à Moscou. Il avait soutenu une thèse sur la Shoah. Son objectif à travers ce thème était de mettre en évidence les relations secrètes entre les Nazis et le mouvement sioniste. Il met en cause le chiffre de six millions de juifs morts durant la seconde Guerre mondiale qui pourrait être en fin de compte inférieur au million, écrit-il. Rencontre avec Arafat, un tournant dans sa vie À partir de 1958, date de sa rencontre avec Yasser Arafat, sa vie va se confondre avec le mouvement de libération de la Palestine. En compagnie de Yasser Arafat et d'autres militants, il contribue à la fondation du Fatah. En dépit de son rôle de membre fondateur de ce mouvement, Mahmoud Abbas ne rejoindra cette organisation officiellement qu'en 1961. Son destin est alors intimement lié au Fatah. Sa tâche est essentiellement politique. Il ne prendra jamais les armes. Il s'occupera des finances de l'organisation de libération de la Palestine (OLP) créée en 1970, pour chapeauter les différentes factions palestiniennes engagées dans la lutte armée contre les forces d'occupation israéliennes. Le bourgeois de l'OLP Joignant l'utile à l'agréable, Mahmoud Abbas, militant de la cause palestinienne, se lance en parallèle dans les affaires à Qatar, où il fait fortune. Spécialiste en économie et finances, il devient un homme d'affaires réputé dans l'Emirat qatari. Mettant à profit ses fréquents séjours à Doha, le numéro deux de Yasser Arafat n'hésitait guère à réaliser des opérations financières, qui lui permirent de s'enrichir. C'est à partir de là que certains l'étiquetèrent de “bourgeois de l'OLP”. Sobre, il n'a jamais affiché sa richesse de façon ostentatoire. Au contraire, toujours en costume-cravate, Mahmoud Abbas montrait une image d'un homme modeste. Idéologue et pacifiste Le bras droit de Yasser Arafat était l'un des rares dirigeants du Fatah à n'avoir jamais porté les armes. Il était considéré comme l'un des idéologues de l'OLP, bien qu'il se soit toujours défendu d'en être un. Néanmoins, on ne peut pas être membre du bureau politique de l'organisation de libération de la Palestine, si on ne connaît pas sur le bout des doigts l'histoire contemporaine. Sa thèse de doctorat sur la Shoah est une solide référence. Dès 1977, il se démarque des autres dirigeants de l'OLP en prônant au sein du Fatah un rapprochement avec la gauche israélienne. Son insistance auprès de Yasser Arafat a fini par payer, en 1983, quand un premier contact a eu lieu à Tunis entre le défunt patron du Fatah et trois militants israéliens de ce qu'on appelait le “camp de la paix”. Ce fut le début des contacts entre les deux parties. Architecte des accords d'Oslo Mahmoud Abbas, connu pour sa position favorable au dialogue avec l'ennemi, à contre-courant de l'opinion publique palestinienne, a réussi à forcer la main à Yasser Arafat, avec lequel il en arrivait à plusieurs reprises au stade des querelles. À la base des premiers rapprochements entre Israéliens et Palestiniens, Abou Mazen est alors chargé de piloter à partir de Tunis les négociations de paix avec les émissaires de Shimon Pérez et Itzhak Rabbin, qui se déroulaient en Norvège. De la capitale tunisienne, il orientait Ahmed Qoreï, responsable alors de la délégation palestinienne à ces pourparlers de paix. Ses efforts seront couronnés en 1993 par ce qu'on appelle “les accords d'Oslo”. Ses brouilles avec Arafat En 2001, il est invité personnellement par Colin Powell et Condoleeza Rice à Washington. Se rendant compte que les propositions des deux responsables de la maison-blanche valaient la peine d'être étudiées, il demande à Yasser Arafat de le rejoindre à Tunis pour en discuter. À son arrivée en Tunisie, il apprend que Arafat était déjà parti. Mesurant l'importance de l'occasion ratée d'avancer dans les contacts de paix, il se fâche sérieusement. Pour montrer sa colère, il boudera pendant plusieurs semaines le quartier général de la Mouqataâ à Ramallah. Sa position visant à démilitariser l'Intifadha n'a jamais été du goût de Yasser Arafat, qui le lui a reproché à chaque fois que l'occasion s'est présentée. Soutien de Washington et de l'Europe Mahmoud Abbas part avec les faveurs des pronostics dans l'opération de règlement du conflit israélo-palestinien grâce au soutien de la maison-blanche et de l'Union européenne. S'il y a une personnalité palestinienne qui bénéficie de l'opinion favorable de George Bush, c'est bien Abou Mazen. L'administration Bush n'avait épargné aucun effort pour forcer la main à Yasser Arafat, pour qu'il le dote des pouvoirs nécessaires afin de mener à terme ses négociations avec le gouvernement Sharon du temps où il était premier ministre. L'Union européenne a tenté de convaincre Abou Ammar de laisser les coudées franches à son chef du gouvernement, en vain. Les Etats-Unis n'ont pas manqué de réaffirmer leur soutien à Mahmoud Abbas dès sa désignation officielle en qualité de candidat à la présidence de l'autorité palestinienne. Idem pour Bruxelles, qui lui promet toute l'aide nécessaire pour mener à bien sa mission une fois élu. Une chose est sûre, face à Ariel Sharon, Abou Mazen pourra compter sur l'appui de l'Occident pour créer un Etat palestinien. Sa naissance dépendra de la bonne volonté de George Bush. L'homme du compromis Aujourd'hui, Yasser Arafat n'est plus et Abou Mazen est désormais libre de ses mouvements. Sitôt investi de la confiance du Fatah et de l'OLP , en tant que candidat à la présidence de l'autorité palestinienne, il confirme ses précédentes positions vis-à-vis de la lutte armée. Il revient donc à la charge et appelle à nouveau à la démilitarisation de l'Intifadha. Tout semble indiquer que Mahmoud Abbas, qui s'était heurté à l'intransigeance de Arafat, lorsqu'il était premier ministre dans ses négociations avec Israël, est bien parti cette fois-ci pour parvenir à un accord de paix. Bénéficiant du capital confiance que semblent lui accorder les Américains, Abou Mazen est apparemment bien parti pour devenir le président du premier Etat palestinien indépendant à moins d'un renversement de situation extraordinaire. En effet, ses chances de rassembler les Palestiniens autour de sa personne sont minces, à voir le peu de crédibilité que lui accorde la rue palestinienne. La meilleure preuve a été apportée par les sondages d'opinion qui l'ont tous donné perdant en cas d'élections avec comme concurrent Marwan Barghouthi. Un handicap, il n'aime pas la presse Le talon d'Achille de ce fin politicien est son déficit en matière de communication. Son manque de charisme constitue également un handicap auprès de ses compatriotes. Mahmoud Abbas n'aime pas la presse. Il l'a reconnu lui-même à l'occasion de son discours en septembre 2003 devant le Conseil législatif palestinien, après son limogeage du poste de chef de gouvernement. Il faut dire que ses positions allant à contre-courant de l'opinion publique palestinienne ne pouvaient être épousées par la presse locale, beaucoup plus acquise à Yasser Arafat, le porte-drapeau de la lutte du peuple palestinien. Reste à savoir maintenant si sa cooptation par le Fatah et l'OLP comme candidat à la magistrature suprême a modifié les données. Sa réussite est tributaire de l'engagement à ses côtés de la rue palestinienne. K. A.