Plus le temps passe, plus le gouvernement du Premier ministre désigné, Mahmoud Abbas, se fait désirer. L'Arlésienne, tel paraît être l'introuvable gouvernement que le Premier ministre désigné, Mahmoud Abbas, (Abou Mazen) tente, depuis plusieurs semaines, de mettre en place. Au-delà des querelles de personnes, supposées exister entre M.Abbas et le président palestinien, Yasser Arafat, c'est, en fait, la notion même de résistance palestinienne qui semble aujourd'hui remise en cause. En effet, Abou Mazen, qui n'arrive pas à composer un cabinet équilibré pouvant avoir l'approbation tant du président Arafat, que celle du quartette qui supervise la «feuille de route», a menacé, dimanche, de démissionner de son poste, face au veto de Yasser Arafat. De fait, des divergences, à tout le moins profondes, sont apparues entre Yasser Arafat et son Premier ministre, notamment sur le choix des hommes appelés à diriger le gouvernement de transition devant travailler avec le quartette à la mise en application de la fameuse feuille de route dont, faut-il le souligner, la texture n'est pas encore connue. L'un des points sensibles du désaccord entre les deux hommes est celui de la création d'un ministère de la sécurité, réclamé par les Etats-Unis et...Israël, pour lequel Abou Mazen a choisi l'ancien responsable à la sécurité de la région de Gaza, le colonel Mohammed Dahlan, apprécié par Washington, choix rejeté par M Arafat. En réalité, ce bras de fer entre le président Yasser Arafat et le Premier ministre Mahmoud Abbas, va bien au-delà de l'humeur des deux hommes et constitue en fait, ou peut constituer, le tournant dans la lutte du peuple palestinien pour l'érection de son Etat indépendant. Or, dans ce bras de fer entre les deux premiers responsables palestiniens, Mahmoud Abbas, depuis sa retentissante déclaration à Moscou, en février dernier —selon laquelle l'Intifada militaire a échoué et a fait son temps- apparaît pour les Israéliens, comme pour les Américains, et sans doute aussi aux yeux de l'ONU, de l'UE et des Russes, comme étant l'homme de la situation. Celui-là, à même de mettre un terme au «terrorisme» des groupes de résistance palestiniens qui reste la revendication essentielle des Israéliens, pour lesquels un Etat palestinien est hors de question. Israël, qui exige beaucoup des Palestiniens, n'est, en revanche, pas prêt à de quelconques concessions, de quelque ordre que cela soit, ne serait que dans l'optique de «faciliter» la tâche du Premier ministre palestinien désigné. De fait, la répression contre les Palestiniens n'a jamais été aussi dure, redoublant de férocité, que durant ces dernières semaines, Tel-Aviv mettant à profit le fait que l'opinion internationale avait le regard braqué sur l'Irak. L'armée d'occupation israélienne a ainsi mené de véritables expéditions punitives contre les villes et camps de réfugiés palestiniens, dont la dernière, pas plus tard que ce dernier week-end à Rafah, dans la bande de Gaza, où six Palestiniens ont été tués. C'est donc dans ce contexte difficile que les Palestiniens tentent de mettre de l'ordre dans leur maison, pressés, pour ne point dire bousculés, par des Américains impatients, qui lient la publication de la feuille de route à la constitution du gouvernement Abou Mazen. La question qui se pose en fait est de savoir si M.Mahmoud Abbas - «numéro 2» de l'OLP - ne serait pas devenu, à son corps défendant, le cheval de Troie de l'ennemi, un grain de sable, introduisant la zizanie dans les rangs de la résistance palestinienne. En estimant que l'Intifada est un échec et, en préconisant - quasiment - l'abandon de la lutte armée contre l'occupant israélien - alors qu'aucune garantie n'est offerte en contrepartie aux Palestiniens, quant à l'érection de leur Etat indépendant - Abou Mazen va au devant des sollicitations du Premier ministre israélien Ariel Sharon - dont les positions sont pourtant connues de longue date - qu'estime que les territoires palestiniens doivent être découpés en petites parcelles «sécurisées» par l'armée israélienne. Cela, d'autant plus que personne, à part les Etats-Unis, ne connaît en réalité les tenants de la «feuille de route» devant mener, par gradation, à l'établissement d'un «Etat» palestinien d'ici à 2005. Or, s'il existe une position claire dans le contentieux proche-oriental, c'est bien celle de l'opposition d'Israël à l'érection d'un Etat palestinien doté de la souveraineté internationale. Le moins qui puisse être relevé est que, peu ou prou, l'establishment américain partage cette vision, rappelée la semaine dernière par le ministre israélien du Tourisme, Benny Elon, qui affirmait, en marge du congrès de l'AIPAC (Américan Israël Public Affairs Committe), le lobby sioniste pro-israélien, que «la position US n'est pas nouvelle. Notre job, c'est de nous assurer qu'un Etat palestinien, qui représente par de nombreux aspects un danger pour Israël, ne soit pas créé». Ce qui signifie que 2005, pour les Israéliens, ne constituera pas une date butoir, pas plus que ne l'a été le processus d'Oslo qui devait voir la proclamation de l'Etat palestinien le 4 mai 1995. Dix ans après Oslo, les choses sont retournées à ce qu'elles étaient avant l'Intifada de 1987, et les gouvernements israéliens successifs, notamment celui de Netanyahu et de Sharon, se sont employés à vider le processus de paix de tout ce qui pouvait aboutir à l'indépendance de la Palestine. De fait, tant que la problématique proche-orientale est envisagée du seul point de vue de la sécurité d'Israël, et que l'Etat hébreu, ne soit pas prêt à cohabiter avec un Etat de Palestine, il ne fait pas de doute qu'aucun Abou Mazen, aussi ouvert soit-il - aux solutions du quartette - ne résoudra le conflit si, dans le même temps, la même pression n'est exercée sur les dirigeants israéliens pour les amener à composer et accepter un compromis profitable aux deux communautés israélienne et palestinienne. En concentrant ses pressions sur les seuls Palestiniens, Washington ne donne guère l'impression d'avoir choisi cette voie.