Il a fallu attendre soixante-trois ans avant que la France officielle ne reconnaisse ce qui s'est passé, plusieurs jours durant et à partir du 8 Mai 1945, à Sétif, Guelma et Kherrata. Après des décennies de silence officiel, voire de déni, ce n'est que le 27 février 2005, et depuis Sétif, qu'Hubert Colin de Verdière, alors ambassadeur de France à Alger, assumera avec courage le rôle de casser un tabou, en qualifiant les massacres du 8 Mai 1945 de "tragédie inexcusable". Trois ans après, soit le 27 avril 2008, cette fois-ci depuis Guelma, l'ambassadeur de France en exercice, Bernard Bajolet, fera un autre pas jamais franchi auparavant, affirmant que "le 8 Mai 1945, alors que les Algériens fêtaient dans tout le pays, aux côtés des Européens, la victoire sur le nazisme à laquelle ils avaient pris une large part, d'épouvantables massacres ont eu lieu à Sétif, Guelma et Kherrata". Le 19 avril dernier, la France officielle a joint, et pour la première fois, le geste à la parole avec la présence du secrétaire d'Etat aux anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, à Sétif, pour prendre part à la commémoration des massacres. Pour le représentant du gouvernement français, sa présence en ces lieux et en cette halte historique s'inscrivait dans "la reconnaissance par la France des souffrances endurées", et ce, dans le cadre d'une démarche qui "rend hommage aux victimes algériennes et européennes de Sétif, de Guelma et de Kherrata". En ce mois de mai 2015, soit soixante-dix ans après les massacres, nous sommes, certes, loin de la revendication de certains de voir la France demander pardon. Une revendication que, d'ailleurs, ne partagent pas plusieurs Algériens acteurs de la guerre d'indépendance. Mais, force est de constater que depuis 2005, soit en une décennie, beaucoup a été fait dans le processus de reconnaissance des massacres. Pour rappel, le 8 Mai 1945, les Algériens ont célébré, à l'instar des autres peuples du monde, la fin de la Seconde Guerre mondiale en organisant des marches pacifiques un peu partout dans le pays. À Sétif, comme à Guelma et à Kherrata, le drapeau algérien est arboré, Hayou Ifrikya lil oumam (saluez l'Afrique des peuples) ainsi que Min djibalina (depuis nos montagnes a fusé la voix des hommes libres) sont entonnés par une foule qui aspire à des lendemains meilleurs, à l'instar de tous les autres peuples du monde affranchis du nazisme. À Sétif, le jeune Bouzid Saal tombe sous les balles et les lendemains seront, ici au pays de Sidi El-Kheïr comme à Guelma et à Kherrata, des plus sanglants. La répression s'étalera sur plusieurs jours et des dizaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants seront massacrés. Leur tort est d'avoir cru dans les valeurs du monde libre et osé demander le droit à la dignité, à la citoyenneté et à la liberté, au même titre que les autres habitants du pays, les Européens. Le 8 Mai 1945 a été l'occasion pour les politiques français et leur armée coloniale d'en découdre avec les nationalistes et les indépendantistes. Mais, à partir de ce jour, l'histoire venait de prendre une autre tournure et, sans le savoir, la France venait de renforcer davantage le sentiment d'appartenance à une nation en gestation, pour reprendre un slogan de l'époque. "Le choc que je ressentis devant l'impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l'ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme", témoignait, à juste titre, Kateb Yacine, l'auteur de Nedjma, âgé à l'époque d'à peine 16 ans et présent à ces marches. M. K.