Dans les annales du colonialisme, il y a cette date, mais il y a aussi l'avant et l'après-8 Mai 1945, ici en Algérie et ailleurs où le colonialisme a sévi. Il a fallu attendre 2005 pour que la France s'exprime officiellement sur une question qui, avant de fâcher l'ancien colonisateur et les anciens colonisés, reste toujours un sujet tabou : les massacres coloniaux, en général, et ceux perpétrés à Sétif, à Guelma et à Kherrata, en particulier. Les Algériens célèbrent le 70e anniversaire des massacres du 8 Mai 45 dans une conjoncture particulière marquée par au moins trois faits. Pour le premier, le sujet ne semble plus être un tabou pour la France officielle. Pour le second, les massacres, on en parle ici, en Algérie, là- bas dans le pays de l'ex-colonisateur et ailleurs dans d'autres contrées, africaines surtout, avec des récits et des témoignages qui confirment que le 8 Mai 45 n'est pas un cas isolé et que les massacres et la manipulation sont une partie constituante du fait colonial. Enfin, pour le troisième fait, le cercle des historiens et des chercheurs qui s'intéressent à la question ne cesse de s'élargir avec l'apport d'Américains, d'Anglais et d'anciens acteurs, enrichissant le domaine de la recherche historique, diversifiant les sources d'information et augmentant les possibilités de recoupement et de croisement des informations. Tous ces éléments sont traités, depuis hier, mercredi 6 mai, et jusqu'au dimanche 10 mai, lors d'un colloque international consacré aux massacres coloniaux, programmé dans le cadre de l'événement "Constantine, capitale de la culture arabe", et qu'abritent quatre villes algériennes, à savoir Constantine, Guelma, Sétif et Béjaïa. Le coup d'envoi a été donné à Constantine, hier, 6 mai, par le témoignage de Nour, un rescapé d'un autre massacre, d'un autre 8 mai, celui de l'année 1956, et où l'armée coloniale a exterminé la population mâle de tout un village, Oudjehane, dans le massif jijélien (voir notre article : "Si le 8 mai 1956 m'était conté"). C'est dire que les massacres du 8 Mai 1945 ne sont pas un fait isolé, une erreur d'appréciation ou une riposte disproportionnée de policiers et de militaires affolés par l'effet de surprise. En effet, on peut dire que dans les annales du colonialisme, il y a cette date, mais il y a aussi l'avant et l'après-8 Mai 1945, ici en Algérie et ailleurs où le colonialisme a sévi. Les exemples ne manquent pas, certains sont connus du grand public, d'autres commencent à peine à intéresser opinions et historiens. Dahra, Thiaroye, Douala, Conakry, Madagascar, Nord-Constantinois, Bizerte... Dans le registre des massacres antérieurs à ceux du 8 Mai 1945 en Algérie, on peut citer un fait horrible, dénoncé dans le temps même par des soldats ayant pris part à l'expédition, et qui remonte aux premières années de la colonisation, soit au 18 juin 1845. Sous les ordres du colonel Pelissier, l'armée coloniale française enfume une grotte à Ghar El-Frachih, dans le Dahra, où près de 1 000 personnes, entre hommes, femmes et enfants, issues de la tribu des Ouled Riyah, s'étaient réfugiées. Selon des récits de soldats français, outre les blessés, 760 cadavres seront enregistrés à la suite de ce que l'histoire retiendra sous le générique des "enfumades du Dahra". Le procédé barbare a consisté à mettre le feu aux bûchers installés dans les 5 accès de ladite grotte afin d'asphyxier les occupants. Toujours avant le 8 Mai 1945, en décembre 1944, pour s'être révoltés afin de demander le paiement de leurs soldes, une dizaine de soldats tirailleurs sénégalais sont froidement exécutés près de Dakar. C'est le massacre de Thiaroye. À ce jour, on ne connaît même pas le lieu où ont été enterrées les victimes, pourtant issus d'un corps de supplétifs de l'armée coloniale. Pour les massacres post-8 Mai 1945 en Algérie, on peut citer ceux de Douala au Cameroun. Le 24 septembre 1945, une confrontation entre ce qu'on appelait à l'époque les "colons de combats", venus avec le colonel Leclerc, et des Camerounais revendiquant leurs droits à l'activité syndicale et au minimum des acquis socioprofessionnels tourne au massacre avec l'achèvement, froidement, de dizaines de civils. L'histoire retient, aussi, les massacres de Conakry. La veille des élections à la représentation nationale, les 16 et 17 octobre 1945, et pour dénoncer ce qui était qualifié de signes d'une fraude qui s'annonçait, des Guinéens organisent des manifestations à Conakry. Les marches seront réprimées et des dizaines de manifestants sans arme seront froidement abattus. Il y a, encore, les dramatiques massacres du 29 mars 1947 à Madagascar. Ce jour-là éclate une révolte contre le système colonial français. S'ensuit une terrible répression qui fera au moins 49 000 morts, selon les chiffres de l'armée coloniale. Retour en Algérie, les "événements" du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois seront réprimés dans le sang et la douleur. Plus de 10 000 Algériens musulmans, pour user des appellations de l'époque, seront massacrés par la France coloniale contre une dizaine d'Européens. À Bizerte, en Tunisie, entre le 19 et 23 juillet 1961, quelque 1 300 Tunisiens seront tués, contre 27 soldats français, lors d'un massacre commis par les 7 000 soldats d'élite du 2e régiment de parachutistes d'infanterie de la marine française. Tout cela a été commandité pour stopper une marche de Tunisiens sur la base navale de Bizerte qu'ils voulaient libérer de la présence française dans un pays censé être indépendant depuis 1956. Aujourd'hui, si l'on se réfère aux travaux des journalistes spécialisés et des historiens qui ont travaillé sur les massacres coloniaux, tels qu'Yves Benot, ou encore Claire Mauss-Copeaux, à la lecture des faits, on a l'impression que le même schéma s'est reproduit en Algérie et ailleurs. Tel un fil conducteur, on a le mécontentement des populations colonisées, suivi par une provocation française, qui mènera vers une insurrection qui sera, elle, réprimée dans le sang et avec barbarie. C'est comme si l'objectif recherché était de neutraliser les mouvements nationalistes à leurs débuts sous le prétexte de rétablir l'ordre. Un ordre colonial dont les massacres furent un des fondamentaux. M. K.