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L'Algérie : une Histoire à réécrire, une identité à construire "Algérie, l'échec recommencé ?", de Saïd Sadi, réédité par les éditions Frantz-Fanon de Tizi Ouzou
Edité en 1999, soit cinq ans après sa rédaction à la prison de Tazoult-Lambèse et celle d'El-Harrach, le livre de Saïd Sadi est plus qu'un récit sur l'histoire mouvementée de l'Algérie d'hier et d'aujourd'hui. Algérie, l'échec recommencé ? est la mise à nu d'un système politique qui s'est construit sur le déni identitaire et une islamo-arabité qui relève plutôt du fantasme que d'une réalité vécue par l'ensemble des Algériens. Certains écrits servent à la fois de remparts contre l'oubli et de repères pour ces peuples qui se cherchent une identité et une histoire, loin de leur terre natale. Si l'homme est mouvement vers autrui, comme disait en substance le militant anticolonialiste Frantz Fanon, devrait-il le faire au détriment de ce qui constitue son identité et personnalité ? Certes, dans ce monde en constante évolution, l'identité de l'individu est aussi mouvante que les dunes d'un désert, en perpétuelle lutte avec le vent. L'identité de cette Algérie, dont rêvait/rêve Saïd Sadi, ressemble à ces dunes qui puisent leur force dans chacun des grains de sable qui en font une entité unie, en dépit de leur taille et de leurs courbes. Dans son exposé et au fil des pages d'Algérie, l'échec recommencé ?, l'ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a su rendre compte de la réalité, en usant d'un récit, dans lequel les faits démontrent d'eux-mêmes que le système mis en place, au lendemain de l'indépendance de l'Algérie, balaie tout ce qui n'est pas en accord avec l'entité arabo-musulmane. Dans son refus de se saisir de son Histoire, l'Algérie, telle que racontée par Saïd Sadi, est condamnée à reproduire les mêmes échecs. Cette Algérie qui s'entête à se renier, à refuser de se saisir de son passé. "Au colon simple, industrieux, nourri de sainte chrétienté, répondait le militant héroïque, positif, sanctifié, légitimé, animé par l'arabo-islamisme libérateur", illustre l'auteur, expliquant encore que "la suffisance et l'égoïsme du colonat nourrissait les affirmations péremptoires qui veulent que dans l'Algérie indépendante, la critique et la réflexion autonomes renvoient nécessairement à la menace néo-colonialiste. La pensée et le référent culturels algériens étant naturellement restaurés après 1962, l'esprit devait être figé". Dans Algérie, l'échec recommencé?, Saïd Sadi dissèque, dans un style tranché, les maux qui rongent notre histoire. "Appartenant à une génération qui a observé, impuissante et sidérée, la dilapidation du patrimoine moral, symbolique et politique de la guerre de libération à la suite de relations souvent contestables des faits, aggravées par une instrumentalisation politicienne de l'histoire (...)", l'auteur a ainsi décidé de prendre sa plume, dans la solitude des geôles de Tazoult-Lambèse, pour narrer ce fragment de l'histoire de l'Algérie moderne. Et parce que les chemins de l'Histoire sont souvent chaotiques et minés par les mensonges, le livre de Saïd Sadi a le mérite de remettre les événements dans leur contexte et baliser la voie pour ceux qui pensent que la guerre des mémoires est perdue d'avance. Dans le chapitre consacré à la Ligue de défense des droits de l'homme, Sadi explique, événements clés, la lutte engagée par les militants du Mouvement culturel berbère, des droits de l'homme et de nombreuses autres associations pour la réappropriation de cette mémoire, souvent exploitée et jusqu'à nos jours, à des fins bassement politiciennes. "Cette mémoire séquestrée" et "outrageusement exploitée par les différentes équipes au pouvoir qui toutes tirent leur légitimité du sang versé", appuie en effet le besoin et "la nécessité d'écrire l'Histoire du pays hors des manipulations officielles et celle de la prise en charge des problèmes sociaux qui se posaient à nombre de militants sincères". À propos de l'élite Le débat sur l'élite algérienne a toujours achoppé sur la même problématique: Quel rôle joue-t-elle et surtout de quel côté de la barre s'est-elle mise? "Hormis les confidences de chaumière, les productions des élites ne dépasseront généralement pas les fonctions d'accessoires, supports de fabrication de slogans ou de législations de cour", tranche Said Sadi, quelques pages plus loin, ajoutant que "la pensée critique sera non seulement éteinte mais pervertie. On ne subit pas ce statut, on le revendique avec suffisance, morgue et mauvaise foi". En homme politique avisé, et dont la lutte pour la laïcité et l'identité lui a causé autant d'animosité que d'ennuis judiciaires, durant les années du parti unique, l'ancien président du RCD ne cache pas sa méfiance vis-à-vis des intellectuels algériens. "J'ai toujours éprouvé une certaine méfiance envers ces intellectuels", note-t-il, tenant toutefois à préciser que "non pas qu'ils (ces intellectuels, ndlr) soient moins compétents que d'autres". Mais pour Saïd Sadi, à nos intellectuels, il "manque cette solidarité collective et l'audace individuelle qui font que, par la pensée autonome, un intellectuel, élaborant ou choisissant librement ses concepts, en arrive à construire sa propre vision de la société". Or, conclut-il, "cette indépendance d'esprit et cette empathie n'existent pas en Algérie". Ce qui constitue aussi un des drames de notre pays, où l'élite se partage en deux catégories : celle qui fait allégeance au pouvoir en place, en contrepartie d'avantages bassement matériels, et celle que ce même pouvoir pousse à l'exil ou marginalise, dans le seul et même but, consistant à la réduire au silence. Un hommage aux ainés et à leur lutte Fidèles aux luttes de ses prédécesseurs, Saïd Saïd a rendu un hommage particulier à Benaï Ouali en lui dédiant ce livre. Sa dédicace à "Benaï Ouali et ses condisciples, morts pour avoir dit et porté les vérités interdites", vaut en effet tous les discours, pour honorer la mémoire de ce militant de la cause berbère, mort en 1957, en plein guerre d'indépendance d'une Algérie qu'il voulait, non pas seulement libre du joug colonial, mais démocratique et laïque. Sans parti pris, ni exclusivisme, l'auteur de Algérie, l'échec recommencé ? livre un témoignage complet sur la naissance du mouvement amazigh, étant lui-même acteur de ces évènements qui ont conduit à l'ouverture démocratique en Algérie. Il est à souligner que cette version du livre a été enrichie par de nombreux témoignages, dont la valeur historique constitue une mise au point cinglante à tous ceux qui ont participé de près ou de loin à la falsification de notre histoire contemporaine, à travers leurs articles, interventions ou « contributions » dans la presse écrite, radiophonique ou télévisuelle, au temps du parti unique. Saïd Sadi a fait un travail de recherche minutieux qui va apporter une plus-value au débat sur la scène nationale. Ainsi, des chapitres entiers retracent, avec force détails, les évènements ayant présidé à la naissance, en 1985, de la Ligue algérienne des droits de l'homme. Pour ce faire, Saïd Sadi a puisé dans l'histoire du mouvement nationaliste algérien, né au milieu des années 1920. Aucun acteur ni détail n'a été négligé pour alimenter son récit qui s'impose ainsi comme une œuvre de référence. L. M.
- La sortie en librairie du livre Algérie, l'échec recommencé ? de Saïd Sadi est programmée pour demain 28 mai 2015. Prix public : 1 000 DA.