L'intégrité est l'une des valeurs cardinales pour asseoir un leadership efficace. Une recherche récente a permis d'établir qu'elle a en plus une incidence directe sur la rentabilité des entreprises. Dès lors, être vigilant sur son intégrité pour le manager lui fait gagner sur les deux tableaux : accroître le respect et la confiance de ses collaborateurs et améliorer la bottom-line de son business. Tous les professionnels de la démarche qualité connaissent Philip Crosby et son célèbre ouvrage Quality is Free (1). Dans ce livre, paru en 1979, Crosby démontre qu'investir dans la prévention des causes de non-qualité en visant le "zéro défaut" permet de réduire jusqu'à 30% les coûts d'inspection, de contrôle, de refaire, de réparations... et éviter la fuite des clients. Faire bien du premier coup est donc payant. C'est pourquoi Crosby dit que "la qualité est gratuite". Tony Simons, professeur à la Cornell University, reprend à peu près la même démarche que Crosby en l'appliquant à l'intégrité des managers. Dans un livre paru en 2008 – The Integrity Dividend: Leading by the Power of Your Word2 –Simons démontre que les entreprises où les managers font preuve d'intégrité voient leur rentabilité croître de plusieurs points. Après l'avoir vérifié d'abord dans l'industrie hôtelière, en utilisant une métrique spécifique bien décrite dans le livre, Simons a pu constater les mêmes effets positifs dans d'autres types d'industries. Dès lors, il s'autorise à dire que l'intégrité des managers constitue une vraie manne (the dividend) pour les entreprises ; et qu'elle peut être mise en branle sans aucun coût. L'intégrité est donc gratuite... et peut rapporter gros ! L'intégrité est comprise ici comme la capacité des managers à "Faire ce que l'on dit et dire ce que l'on fait". Autrement dit, lorsque les managers font preuve d'authenticité en tenant leur parole et leurs engagements. Dans la préface du livre de Simons, James Kouzes, coauteur du bestseller The Leadership Challenge (3), considère même que l'intégrité est la plus grande qualité du vrai leader. Mais, hélas, c'est une qualité qui n'est pas si commune chez les managers. Quand bien même ils sont animés de bonne volonté, soumis aux pressions du quotidien ils peuvent facilement céder au "commitment drift" (4) (faillir à ses engagements). Ce qui occasionne un coût élevé en termes de perte de réputation du manager, un accroissement des tensions dans l'entreprise et in fine l'érosion de la motivation des collaborateurs. Ce coût est souvent un coût caché mais terriblement élevé. Au contraire, lorsque le manager agit avec intégrité, Simons montre qu'une "chaîne vertueuse" s'installe qu'il décrit ainsi : Quand les collaborateurs voient que leurs managers tiennent leurs promesses et agissent selon les valeurs qu'ils professent, leur confiance envers ces managers croît ; Lorsque qu'ils ont davantage confiance en leurs managers, ils seront émotionnellement plus engagés envers l'entreprise, s'impliquant plus dans sa mission et fiers de travailler pour elle ; Quand ils ressentent émotionnellement un plus fort engagement envers l'entreprise, ils seront plus motivés pour rester dans leur fonction et plus aptes à prendre des initiatives discrétionnaires pour améliorer la qualité de leur travail. L'intégrité, ou plutôt l'absence d'intégrité, est un réel problème dans l'entreprise algérienne. Bien que, culturellement, les Algériens tiennent l'intégrité comme une valeur forte – nous savons tous la force de l'expression ‘Andou Kelma –, nos managers manquent souvent de vigilance et succombent assez facilement à "l'agressivité passive" (5), une autre façon de décrire le commitment drift. C'est-à-dire qu'ils n'alignent pas toujours leurs actes sur leur discours, ne s'astreignent pas à tenir les promesses faites à leurs collaborateurs... voire les oublient complètement ! L'effet est désastreux sur la motivation des collaborateurs. Dans cette situation les dividendes potentiels de l'intégrité pour leur entreprise peuvent être considérables. Et la clé pour les cueillir est entre leurs mains. Pour cela, les managers devront revoir leur comportement vis-à-vis de leurs collaborateurs en développant leurs aptitudes de leadership. Ils gagneront alors sur trois tableaux : ils auront le respect de leurs collaborateurs, amélioreront la rentabilité de leur entreprise et se sentiront plus sereins dans leur travail. Dans cette direction, c'est le top management qui doit être concerné au premier chef. Car, pour que l'intégrité puisse produire ses dividendes, il est nécessaire que s'installe dans l'entreprise une "culture de l'intégrité". Et pour implanter cette culture, le top management devra donner l'exemple. Il faudra aussi que l'on puisse évaluer le degré d'intégrité dans l'entreprise. Dans cet exercice, ce sont les employés qui sont sollicités pour juger de l'intégrité de leurs chefs ! Une vraie révolution dans l'entreprise algérienne mais ô combien salutaire. Car c'est à ce seul prix qu'on pourra mobiliser réellement la motivation les hommes de l'entreprise. S. S. 1. The quality is free: the art of making quality certain, New- York, Mc Graw Hill, 1979. Crosby Philip, B. 2. Jossey-Bass, 2008. 3. Le Défi du Leadership. James M. Kouzes et Barry Z. Posner. Afnor, 1991. 4. Elizabeth Doty. Does Your Company Keep Its Promises? http://www.strategy-business.com/article/00267 5. The Collaboration Imperative: Executive Strategies for Unlocking Your Organization's True Potential. Hardcover – 2011 by Ron Ricci, Carl Wiese.