Résumé : Saléha comprend enfin les raisons qui ont mené sa fille à venir au village pour se rendre chez la vieille matrone. Mordjana ne pouvait enfanter et tentait par tous les moyens d'y remédier... Au lieu de réconforter sa fille, elle l'accusera de tous les maux, et lui rappellera les reproches qu'elle lui faisait au sujet de ses nombreuses grossesses... La nature se vengeait donc, et on aurait juré que Saléha s'en délectait. La jeune femme ne trouve aucune réponse aux flèches venimeuses de sa mère. On aurait dit qu'elle se réjouissait de ses malheurs. Mimouna, les lèvres pincées, s'approche de sa bru et la regarde en face avant de lancer d'une voix forte : -Tu es d'une méchanceté inouïe Saléha ! Au lieu de réconforter ta fille, tu l'accables de tous les maux et tu parles de justice divine dans son malheur... Quelle calamité ! A-t-on jamais vu une mère aussi indigne que toi... ? Saléha s'emporte : -Toi aussi tu es une mère indigne, Mimouna... N'est-ce pas toi qui nous a chassés, Ahmed et moi, de la maison... Tu nous as largués dans la rue, et nous nous sommes retrouvés tels des mendiants sur le trottoir. -Oui. Je l'ai fait... Je voulais vous démontrer à tous deux qu'on doit assumer ses responsabilités lorsqu'on a une famille, et qu'on ne doit pas s'accrocher éternellement aux basques des autres... Ameur et moi avions trimé très dur pour vivre dans la dignité... Vous auriez pu en tirer un bel exemple de persévérance et de sagesse... Hélas ! Ce n'était pas le cas. Toi tu voulais toujours plus, et mon imbécile de fils ne pouvait rien te refuser... Il était allé jusqu'à nous subtiliser de l'argent pour satisfaire tes caprices. C'était d'ailleurs la goutte qui avait fait déborder le vase... Ameur ne voulait plus de vous deux à la maison... Il était temps pour vous de prendre vos enfants et de quitter les lieux pour voler de vos propres ailes. -Oui, c'est ça. Crie-le sur tous les toits... Nous sommes des voleurs et des moins que rien... Tu oublies que le premier inculpé dans cette affaire est ton propre fils... C'est ton éducation qui a fait de lui un voleur. Mimouna allait riposter, mais Mordjana l'en empêche : -Assez maman... Tu étais venue faire la paix, n'est-ce pas ? -Oui... Mais à ce rythme je préfère déclarer la guerre... -Eh bien, ainsi soit-il. Elle prend le panier que sa mère venait de lui remettre : -Tiens, reprends ton panier et rentre chez toi... Je n'aimerais plus jamais te revoir. Saléha transpirait de tous ses pores. Sa fille venait de l'humilier devant sa belle-mère. Elle tendit la main et appliqua une belle paire de gifles à sa Mordjana. Cette dernière lâche le panier et porte une main à sa joue gauche. Les crêpes s'éparpillèrent par terre. Saléha les foule de son pied avant de quitter la cuisine. Au portail, elle se heurte à son beau-père qui revenait du marché, et il dut faire un bond de côté pour l'éviter. Il la regarde s'éloigner de son pas "le plus mauvais" comme il aimait à le qualifier chaque fois qu'elle se mettait en colère. -Que s'est-il donc passé ? Il secoue la tête. Saléha et Mimouna n'avaient jamais fait bon ménage... Il y a eu sûrement du grabuge au sujet de Mordjana, se dit-il en reprenant son couffin pour rentrer chez lui. Ilhem avait écouté Samir jusqu'au bout. Elle n'avait pas touché à son repas, et lui non plus. L'histoire qu'il venait de lui raconter lui parut invraisemblable. Jamais elle n'avait entendu de telles choses. Elle savait aussi que Samir ne pouvait lui raconter que la vérité. Maintenant que les dés étaient jetés, il n'avait plus rien à lui cacher. Il se verse un verre d'eau et en prend quelques gorgées : -Alors, ta curiosité est satisfaite maintenant ? -Si je suis satisfaite ? De quoi donc ? De ton mariage biscornu ? Ou de notre séparation ? -Maintenant tu as eu toutes les réponses à tes questions. -Certes... Mais cela n'est pas pour me réjouir... Cela ne change rien non plus à notre situation... Tu vis avec une autre femme, et moi je suis aussi seule qu'une nonne... -Que veux-tu que je te dise. Je n'avais pas le choix... Mordjana non plus... Nous sommes tous des victimes... -Oui... Mais tu aurais pu divorcer par la suite... Samir écarquille les yeux : -Divorcer ? Tu n'y penses pas, Ilhem... Je ne pouvais humilier davantage ma femme. -Ta femme... Le mot me paraît doux dans ta bouche. On devine aisément que tu en es amoureux. -Les sentiments ne se commandent pas. Mordjana est une fille bien comme il le faut. Elle est courageuse et volontaire. Je l'aime et je la respecte, et c'est réciproque... Autant accepter son destin que créer d'autres conflits. Elle sentit les larmes remonter à ses yeux, mais les refoule et se pince les lèvres : -Et moi... ? Tu as un peu pensé à moi ? Il soupire d'un air triste : -Je ne cesse de penser à toi si tu veux le savoir... Je ne t'ai pas oubliée Ilhem... Mais que veux-tu que je fasse ? (À suivre) Y. H.