Alors que les pouvoirs publics, comme ragaillardis par la réélection de Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la république, susurraient sur une rentrée sociale des plus calmes, les syndicats autonomes, ces “trouble-fête”, ont ébréché cette fausse sérénité officielle en observant nombre de grèves. Des secteurs, tels que la santé publique, l'éducation, le transport maritime, les impôts, le trésor… (une grève de 4 jours, début octobre du 3 au 7), ont été tous marqués par des débrayages cycliques. Les syndicats autonomes activant dans les secteurs de l'éducation, le Cnapest et le CLA, qui ont ravi la vedette en 2003 en tenant une grève de plus de 2 mois que le secteur n'a jamais eu à enregistrer depuis l'indépendance, cette année, ont marqué un peu le pas. Comme échaudés par l'expérience 2003, ces deux syndicats se sont suffi d'une grève de 2 jours pour le premier et d'une journée pour le second les 5 et 6 octobre. La réaction du ministère ne s'est pas fait attendre en prenant des mesures coercitives : défalcation sur salaire. Bien plus, les responsables du Cnapest ont signé “la fin des hostilités” avec le ministère, lors d'une réunion qui les a regroupés, le 3 novembre dernier avec les cadres du département de Benbouzid. Indiscutablement, ce sont les syndicats autonomes du secteur de la santé publique qui ont occupé le plus la scène syndicale de la rentrée sociale de 2004. à plusieurs reprises, les structures sanitaires ont été paralysées à l'appel du Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (Snpssp) du Dr Mohamed Yousfi ou du Syndicat national des praticiens de la santé publique (Snpsp) du Dr Tahar Besbas, qui ont créé une intersyndicale. Pour ce qui est de la puissante centrale syndicale de Abdelmadjid Sidi-Saïd, elle n'a montré aucun empressement à canaliser la fronde sociale. Elle a préféré alors afficher profil bas. C'est vrai que son soutien au candidat victorieux de l'élection présidentielle d'avril 2004, Abdelaziz Bouteflika ne peut que la mettre dans la gêne, la ligoter en somme. Mais s'approche la date de la bipartite UGTA-gouvernement, ne voilà-t-il pas des syndicats affiliés à l'UGTA, la FNTS, les syndicats des travailleurs du trésor et des impôts… appeler à des grèves ! Mais leur montée au créneau ne vise rien moins qu'à faire monter les enchères et à entretenir une mise en scène à même de munir la Centrale d'une carte de pression qu'elle compte utiliser dans ses négociations avec le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia. D'ailleurs, leurs actions sporadiques n'ont pas survécu à la bipartite, tenue le 14 octobre. Et l'échec de la bipartite, même si Sidi-Saïd ne l'a pas pris comme tel, il n'a pas poussé les syndicalistes de l'UGTA à revenir sur le terrain de la contestation syndicale. Loin s'en faut. C'est plutôt les syndicats autonomes, ceux de la santé notamment, qui, confortés dans leur position, occuperont la scène. Mais il a fallu compter sans la froideur et la dureté d'un Ahmed Ouyahia qui n'a pas hésité à ressortir la grosse artillerie pour mettre fin à une grève illimitée déclenchée par le Snpssp. Lors d'un conseil de gouvernement tenu le 20 octobre, le ministre de la santé est mandaté de “veiller au respect de la circulaire relative au non-paiement des journées de grève, de déposer plainte auprès des tribunaux contre les syndicats qui entravent le service public de la santé (…), d' engager les procédures légales de licenciement des personnels en grève illimitée qui sont considérés en abandon de poste”. Une mesure coercitive que des syndicalistes ont assimilé à une remise en cause des dispositions constitutionnelles en matière de liberté syndicale, à une volonté de “normaliser le monde du travail par la force”. Aussitôt, le ministre de la santé est passé à l'acte en portant plainte, le 23 octobre, contre le Snpssp. En un temps deux mouvements, la justice a rendu son verdict en sommant, le 28 octobre, les travailleurs de la santé de suspendre leur grève illimitée. Ce qui fut fait. Depuis, on a assisté à une sorte d'atténuation de la verve contestataire chez les syndicats autonomes. C'est plutôt les syndicalistes de l'UGTA affiliés à différentes fédérations (tourisme, métallurgie…) qui, avec la décision d'Ahmed Ouyahia de privatiser 1 200 entreprises publiques, montrent à nouveau leurs crocs en exprimant leur opposition tout en brandissant la menace de débrayage. Un feu de paille ? Peut-être. Surtout en sachant les accointances de la centrale avec le pouvoir. Au moindre sifflement signifiant la fin de la récréation, c'est le profil bas au nom de l'intérêt suprême du pays et des... travailleurs. Incontestablement, ce sont les syndicats autonomes qui ont marqué la rentrée sociale 2004 pour ne pas dire toute l'année. Ils ont engrangé un capital audience et expérience certain. Ensuite, dans le feu de l'action, il y eut la création par neuf d'entre eux (Le Snpssp, le Cnapest, le Cla, le Snommar,...) d'une intersyndicale dénommée : le comité national des libertés syndicales (CNLS). à plusieurs reprises celui-ci a dénoncé la menace qui pèse sur les libertés syndicales, le monopole de la représentation syndicale par l'UGTA. Tout comme il a dénoncé la volonté du gouvernement de ne pas respecter le pluralisme syndical. Ils revendiquent le droit d'avoir voix au chapitre et d'être reconnus comme partenaires à part entière. Ils ne s'expliquent pas l'ostracisme dont les taxent les pouvoirs publics, alors qu'ils sont plus présents sur le terrain et plus représentatifs. Selon le docteur Tahar Besbas, secrétaire général du Snpsp, 80% des travailleurs de la fonction publique sont affiliés à des syndicats autonomes. Reste à savoir si, dans leur traitement des questions sociales, les pouvoirs publics continueront toujours à tourner le dos à ces organisations qui ont pourtant démontré leur représentativité ou bien continueront-ils à jouer à l'autruche en ignorant des réalités qui finissent toujours par les rattraper ? Question de volonté et, surtout, de culture politique, en somme. A. C.