La politique environnementale allemande est un modèle de quasi-perfection où la performance industrielle se conjugue au souci de préserver la nature. Une délégation de journalistes algériens s'est récemment rendue dans l'Etat de la Rhénanie du Nord-Westphalie (en allemand : Rordrhein Westfalen) sur invitation du ministère de l'environnement pour constater la portée de ce système. Il ne nous a pas fallu une éternité pour comprendre que l'Algérie et l'Allemagne évoluent, à peu de choses près, dans deux mondes différents. Deux mondes que la nature a séparés et que la science et la vertu du travail ont éloignés l'un de l'autre. Les sommes colossales qu'exige un tel investissement rendent, de fait, ce retard impossible à rattraper dans la conjoncture actuelle. Car, comme le dit si bien notre traducteur Cheikh Diallo, un biologiste sénégalais installé à Bochum, on ne peut attendre d'un pays qui a du mal à nourrir ses enfants de se soucier de la protection de l'environnement. De la glaciale décharge de la ville de Bochum aux luxueux studios du groupe de communication publique WDR, basé à Cologne (Köln), la Rhénanie du Nord Westphalie a justifié son statut de leader de l'environnement. Le choix de ce land, qui constitue avec quinze autres Etats l'Allemagne, a été lui-même dicté par le caractère industriel de la région. Une caractéristique foncièrement attachée à l'environnement et à la nature. Et donc à l'homme. La récupération commence dans les foyers La décharge de Bochum emploie environ six cents personnes. Elle est la propriété d'une ville de 120 000 foyers, représentant 400 000 habitants. Comme dans le reste du pays, on essaie d'appliquer les règles européennes en matière de déchets. La décharge a sept centres de récupération et de traitement. En 2001, près de 70 000 tonnes de déchets ont été ainsi récupérées : 22 000 ont été réutilisées et le reste brûlé. Tout ce qui est récupérable est récupéré, tout ce qui est recyclable est recyclé : papier, verre, restes des repas, vieux habits, emballages. “La récupération commence dans les foyers”, explique Jochen Anderheide, fondé de pouvoir technique à la direction de la décharge, située dans l'une des extrémités de la ville. “Nous avons un système spécial de récupération, valable jusqu'à 2005, consistant à mettre près de chaque habitation une boîte (une poubelle) à quatre cases équivalent chacune à une sorte de déchets. De cette façon, nous pouvons récupérer non seulement les restes des repas mais encore les restes de ces restes. Actuellement, on veut constituer une sorte de syndicat intervilles pour élargir ce système et obtenir plus de performances à l'échelle du land.” Bochum, ville universitaire par excellence — elle compte pas moins de 120 facultés pour 37 000 étudiants — ne se contente pas de cela. Ses spécialistes de l'environnement ont mis au point un produit, constitué de déchets divers, susceptible de fournir de une énergie à même de remplacer le feu ou l'électricité ! Cette politique a fait des émules puisque le club de football de Shalke 04 a installé, près de son nouveau stade de l'Arena, déjà fonctionnel, un système de panneaux solaires destinés à l'exploitation énergétique. L'eau des quatre puits entourant la décharge est aussi analysée chaque année pour vérifier sa qualité. La législature départementale produit, depuis 1972, un texte de 25 lois relatif aux déchets. Bayer, l'industrie grandeur nature La ville de Leverkusen s'identifie au groupe Bayer. Tout s'est réalisé, en effet, par, grâce et autour de ce géant industriel allemand. Il y a eu d'abord l'usine, qui s'est transformée en groupe, puis la cité. Bayer a été fondé en 1863 par le chimiste Carl Duisberg. “Rien qu'ici, on produit 5 000 matières différentes : produits chimiques de base, produits de peinture, substances essentielles de médicaments, substances de purification d'eau…”, nous explique-t-on fièrement. Le groupe repose sur une superficie de 340 hectares, une véritable ville dans la ville. Il compte 35 000 employés en Allemagne et 123 000 dans le monde, répartis sur trois grands pôles (Europe, Amérique, Asie) comprenant 250 usines dans 150 pays. En Algérie, Bayer a juste une représentation. L'année dernière, le groupe a fait une recette de 28 milliards d'euros (environ 2 156 milliards de dinars), dont la moitié a été réalisée en Europe. Près de deux milliards d'euros ont été reversés dans la recherche. Selon ses responsables, Bayer, qui gère entièrement le club de football de Leverkusen (le Bayern, bien sûr), dépense annuellement un milliard d'euros pour l'environnement. Mille filtres sont installés dans l'usine principale, à Leverkusen, pour éviter l'émanation des gaz. “ici, nous dit-on encore, on respecte bien plus qu'ailleurs les normes. On n'attend pas que les laboratoires de l'Etat viennent inspecter chez nous. Nous avons nos propres laboratoires pour cela.” Les installations de gestion centrale des déchets de Bayer AG se situent à un kilomètre cinq cents au nord de l'usine. Objectif : réduire au maximum les résidus polluants dans le sol, l'air et l'eau. Dès 1901, une commission des eaux résiduaires a été créée et en 1954, le premier laboratoire de contrôle des eaux résiduaires et de l'air a vu le jour dans l'usine de Leverkusen. Par la suite, des stations d'épuration mécanique et biologique ont été bâties. De cette manière, au moins 50 000 m3 d'eaux usées sont traitées chaque année. L'épuration consiste à éliminer le sable, neutraliser les eaux acides ou alcalines et les clarifier afin de séparer les substances non dissoutes hors de la neutralisation. D'un autre côté, Bayer a construit une tour biologique qui permet une exploitation optimale de l'oxygène et, du coup, une réduction du besoin en air. Ainsi, les coûts d'incinération des rejets gazeux s'en trouvent diminués. Le groupe possède également des installations d'incinération des déchets spéciaux et particuliers et des boues activées. Sa décharge a été conçue selon un système numéroté où chaque partie reçoit un type de déchets. “Depuis 1963, ce système de contrôle n'a jamais cessé de fonctionner. C'est pourquoi nous avons un ciel bleu aujourd'hui”, commente un des spécialistes de l'environnement de Bayer. “Notre souci est d'intégrer la protection de l'environnement dans la production. L'idée est de dire : ce que je produis comme déchets est à économiser. La production chez Bayer prend en considération l'environnement et la santé des personnes.” Düsseldorf : des lacs artificiels et des allergies Soixante pour cent de l'eau industrielle de Düsseldorf est traitée par les deux gigantesques stations d'épuration de la capitale de la Rhénanie du Nord-Westphalie. “Nous avons un système de séparation des différentes eaux qui arrivent ici et nous en retirons quotidiennement dix tonnes de papier”, souligne un des responsables de la station Düsseldorf sud. Pour injecter de l'oxygène dans les quantités importantes d'eau récupérées (quatre mètres cubes par seconde), la ville débourse 280 000 euros par mois. L'eau est bien sûr précieuse. Elle est utilisée, là aussi, comme source d'énergie. À l'office environnemental du land, on nous explique que trois types de contrôle sont effectués régulièrement. Le contrôle biologique de l'eau vise à déterminer l'influence de cette matière sur les éléments vivants qu'elle abrite ; le contrôle chimique et physique est destiné à prendre la température de l'eau ; le contrôle des courants d'eau tend à mesurer leur vitesse. Il existe dans la And 60 000 kilomètres de cours d'eau dont 230 kilomètres pour le Rhin, les Allemands l'appellent Vater Rhein (le Père Rhin). “Ces contrôles ont pour but d'avoir une sécurité de l'eau comme source de vie et de protéger la faune et la flore dans la région”, indique le Dr Vietoris. Düsseldorf dispose de 3 500 stations de contrôle et de mesure, dont 250 font des contrôles intensifs (quatre échantillons par an) et 106 opèrent plus durement encore (13 à 16 échantillons). Pour gagner davantage d'eau potable, les responsables locaux ont créé 70 lacs artificiels. Malgré toutes ces précautions, près de 25% des élèves du land présentent des allergies. Car, on sait que l'Allemagne a moins d'espaces verts que des pays comme l'Espagne ou la France. Agenda 21 : “Un avenir critique” Lorsqu'on demande à M. Rybarski son avis sur l'avenir de l'environnement face au développement extraordinaire des économies mondiales, il répond sobrement : “Très critique.” Son objectif est pourtant de créer les conditions d'un avenir durable dans sa ville, Gelsenkirchen, grâce au travail de son atelier, mis en place avec la contribution de la mairie. Le but principal de cet atelier est d'impliquer la population de Gelsenkirchen dans le projet. “Il faut savoir ce qu'on veut et ce qu'on peut faire ici : trouver donc des solutions d'abord au niveau local pour tenter ensuite d'obtenir l'intérêt et l'adhésion des populations environnantes. Attirer l'attention des gens, les intéresser, les regrouper et faire des pas en avant”, résume Rybarski. Le projet repose, en partie, sur le genre (égalité des sexes). C'est dans ce sens que des femmes de Gelsenkirchen ont pris l'initiative d'écrire un livre intitulé Des sorcières, des anges et des combattantes, relatant la participation de la femme à la construction de la ville. Gelsenkirchen, comme la plupart des villes de la Rhénanie du Nord-Westphalie, est une ancienne cité minière où les travailleurs ont toujours eu la vie dure. Les immeubles se sont d'ailleurs élevés autour de ces lieux de travail pour donner à cette région ouest-allemande sa configuration actuelle : des villes très rapprochées les unes des autres. On peut ainsi passer de Düsseldorf à Cologne en transitant par Leverkusen en trente minutes (par train). La participation de la population de Gelsenkirchen à la préservation de la nature s'est vérifiée, par exemple lorsque des élèves, qui suivent des cours sur la protection de l'environnement, ont pu rassembler la somme de 70 000 euros, fruit d'une quête organisée auprès des habitants. Chez Agenda 21, le principe est le même : économiser l'énergie, l'eau et les déchets pour les réutiliser. “Mais l'avenir est critique, conclut M. Rybarski. Les puissances industrielles tentent de faire avorter nos efforts et nous dicter leurs propres lois, y compris en matière d'environnement.” Agenda 21 (Aguenda, en allemand) est un document, intitulé ainsi par rapport au vingt-et-unième siècle, a été réalisé par les participants à la conférence de Rio de Janeiro (Brésil) sur l'environnement. Il a été ratifié par 176 pays, dont l'Algérie. L. B.