Rencontré lors du colloque organisé par le HCA à Jijel sur la toponymie algérienne et auquel plusieurs chercheurs et professeurs de plusieurs universités du pays ont pris part, Djamel Nahali, chef du département langue et culture amazighes à l'université de Batna, revient dans cet entretien sur la communication qu'il a présentée au rendez-vous scientifique ("De la microtoponymie locale du massif de l'Aurès, un patrimoine archéologique en péril"), mais également et de manière plus générale sur la toponymie des Aurès. Liberté : Lors du colloque organisé par le Haut commissariat à l'amazighité sur la toponymie, vous avez présenté une communication intitulée "De la microtoponymie locale du massif de l'Aurès, un patrimoine archéologique en péril". Qu'est-ce qui a motivé le choix de ce thème ? Djamel Nahali : à l'instar de nos collègues qui ont réalisé des recherches dans leurs régions respectives traitant du sujet de la toponymie, nous avons fait mon collègue de l'université de Khenchela, Nasser Guedjiba, et moi la même recherche dans les Aurès, où il est à signaler que les noms des lieux ont subi des modifications, réécriture et dénomination. Aussi, notre travail est une représentation d'un projet de recherche en cours intitulé "Inventaire et classification des microtoponymes du massif de l'Aurès". Parlez-nous de la toponymie en général et celle des Aurès qui vous intéresse et fait l'objet de votre recherche... La toponymie est un carrefour multidisciplinaire (géographique, linguistique, archéologique). Un toponymiste est un archéologue du nom, comme on dit dans le milieu scientifique. Notre approche de la microtoponymie à travers le massif des Aurès obéit à la même démarche scientifique qui se fait à l'échelle nationale et internationale. Si nous devons ou souhaitons connaître la signification ou l'origine du mot "Taghit" par exemple, qui existe dans la région de Béchar, dans le M'zab ou en Kabylie, la démarche est la même, la science prime. Reste que dans les Aurès, il n'y a pas beaucoup de recherches effectuées dans ce sens, hormis quelques articles de l'époque coloniale ou des mémoires de licence en langue et culture amazighes, ce qui peut constituer un début. Il y a beaucoup de lieux et zones à travers le grand Aurès qui n'ont connu aucune étude. Quand on veut répertorier ou recenser, des régions non habitées tombent dans l'oubli, et c'est surtout l'effacement de la toponymie qui est une mémoire qui refuse l'oubli, une vraie racine qui raconte, quand on sait l'interroger. Qu'est-ce qu'il y a lieu de faire ? Justement, le colloque organisé par le Haut commissariat à l'amazighité est une aubaine pour échanger les expériences, les études, les recherches, pour faire une collecte, un inventaire, un répertoire... La mémoire collective peut grandement contribuer et participer à cette quête afin de sauver et sauvegarder la microtoponymie aussi bien dans les Aurès que dans les autres régions du pays. Justement, votre recherche va dans ce sens... Oui, bien sûr. La toponymie est un registre de la conservation de la langue, notamment la langue amazighe. Sur le plan économique (tourisme), avoir une carte routière ou un dépliant à remettre aux visiteurs ou touristes avec des noms de lieux bien précis enlève toute ambiguïté. En réponse à la problématique du colloque, du local au national, notre base de données peut être utile à d'autres chercheurs dans d'autres régions. Le rapport entre l'homme et l'espace est un domaine très important. La toponymie nous permet de comprendre ou connaître quoi ? La toponymie nous permet de connaître la langue et les faits historiques. Je vous donne un exemple : le lieu où s'est déroulée la grande bataille durant la guerre de libération, le mont El-Djorf, est devenu un lieu connu et marque une époque et étape importante de notre histoire. Cette science n'échappe pas à des altérations et agressions, volontaire ou involontaires. Pas loin du village Ichmoul existe un lieudit appelé Berbla. Or, en réalité, le vrai nom du lieu, c'est Pères-Blancs, un endroit où se sont installés les pères-blancs dans les Aurès. Face à la réécriture, la modification ou la transformation, il y a une résistance identitaire, le génie populaire en est un facteur important. Cependant, si nous ne protégeons pas notre toponymie, nous risquons de disparaître avec cette globalisation galopante. Entretien réalisé par : R. H.