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"La vraie bataille est celle de l'accès des Algériens à toute leur histoire"
Abdelmadjid Merdaci à "Liberté"
Publié dans Liberté le 20 - 08 - 2015

Enseignant, chercheur, sociologue et historien, Abdelmadjid Merdaci revient dans cet entretien sur les enjeux des deux événements majeurs qui ont marqué la Révolution : l'offensive du Nord constantinois et le Congrès de la Soummam. Il évoque, également, le chemin qui reste à parcourir pour les Algériens pour accéder à toute leur histoire.
Liberté : Pouvez-vous nous résumer en quelques phrases la portée sur la Révolution des deux événements majeurs : l'offensive du Nord constantinois et le Congrès de la Soummam ?
Abdelmadjid Merdaci : La confusion officielle de ces deux dates majeures de la guerre d'Indépendance par le calendrier des fêtes légales embrouille le sens et la portée. Il est un fait que la figure d'Abane Ramdane — qui n'est pas, faut-il le rappeler, que l'animateur du Congrès de la Soummam — paraît plus emblématique que celle de Zighoud dont le rôle aura été pourtant décisif dans la relance de la lutte armée et la projection d'un congrès des dirigeants du FLN/ALN. Il faut assurément contourner les rites des commémorations officielles et s'ouvrir un peu plus aux lectures historiennes. De l'avis de tous les spécialistes, celles-ci fixent l'offensive stratégique du 20 Août 1955 comme un tournant dans le cours de la guerre. Sans détailler l'ensemble des objectifs de cette offensive — signalons quand même qu'elle avait ciblé trente-quatre agglomérations sur un territoire qui couvre près du tiers de l'Algérie —, il faut en relever au moins le recours à la mobilisation populaire, la mise en échec de la politique dite de la troisième vie, l'affirmation spectaculaire de la capacité de redéploiement de l'ALN. Les attaques concertées avaient été lancées en plein midi ce samedi 20 Août sur l'ensemble de la Zone II du Nord constantinois. Si elle peut rappeler, par certains aspects, les opérations du 1er Novembre, l'offensive d'Août 1955 apparaît aussi en résonance avec Mai 1945, notamment par la brutalité de la répression estimée par le FLN à plus de douze mille victimes. Ce soixantième anniversaire devrait fournir l'occasion de rompre avec les clichés du genre "le forgeron de Condé Smendou" s'agissant du grand dirigeant qu'était "Si Ahmed" Zighoud, militant précoce au sein du PPA, dirigeant de l'OS, membre du groupe des "22", et dont la vision politique était tout à fait exceptionnelle. Il lui fallait, en effet, toute la lucidité et le courage pour dire à ses proches, à l'heure de lancer l'offensive : "J'ai toujours appréhendé le jour où le destin de la Révolution reposerait sur mes épaules." Aujourd'hui, on ne peut pas penser l'histoire de la guerre d'Indépendance sans les basculements d'Août 55 et d'Août 56. Le premier a, sans conteste, remis la question de la lutte armée à l'ordre du jour, le second en a, dans le prolongement de la proclamation du 1er Novembre, fixé le cadre politique et les fondements idéologiques.
Mais si l'anniversaire de l'offensive du Nord constantinois est plus au moins célébré chaque année par les autorités officielles, tel n'est pas le cas du Congrès de la Soummam. Quelles en sont les raisons, selon vous ?
Abane vient d'être honoré par l'association mémorielle Machaâl Echahid, faut-il en tirer des conclusions particulières ? Ce qui importe reste la connaissance de l'histoire et il n'est pas sûr que celle du Congrès de la Soummam soit la mieux connue. Elle mériterait, pourtant, de l'être sans doute aussi pour en libérer la figure d'Abane et lui restituer toute la complexité humaine et politique de l'éminent leader nationaliste qu'il fut. Le congrès avait rassemblé six dirigeants — Krim, Ben M'hidi,Zighoud, Abane, Ouamrane et Bentobal — et avait donné lieu à de véritables débats politiques, et il est important de souligner que les responsables du Nord constantinois, par la bouche de Zighoud, avaient contesté les thèses défendues par Abane et Ben M'hidi et s'y sont ralliés en définitive parce qu'ils considéraient que c'était le prix à payer pour avoir une direction légitime du FLN. Le Congrès fut aussi le travail en amont de Temmam, Ouzegane, le rôle décisif de Krim. La vraie bataille ne peut être celle des préséances officielles, elle est celle de l'accès des Algériens à leur histoire, toute leur histoire sans censure ni manipulation, et elle est loin d'être
gagnée.
La censure et/ou la manipulation qui touche l'histoire est-elle liée à un différend historique, non encore soldé, entre acteurs de cette Révolution dont certains sont toujours au pouvoir ; au projet politique et sociétal véhiculés par les résolutions ou encore aux personnages-animateurs du Congrès dont les plus en vue Abane et Ben M'hidi et dont la mort demeure taboue ?
Abane Ramdane a été exécuté par ses compagnons dans des conditions qui continuent à prêter à controverses. Il faut bien pourtant dater sa mise à mort politique du Congrès du Caire du 20 Août 1957 qui avait vu tous les acquis démocratiques de la Soummam remis en cause. Mis en minorité par un congrès non conforme aux statuts du FLN, isolé en dehors des centres de décision, Abane, formellement, ne représentait plus un danger significatif pour ses adversaires. Son exécution ne fut pas pourtant la première au sein du FLN/ALN. Le 1er Novembre 1955, trois des dirigeants de l'offensive d'Août 55 — Smaïn Zighed, Saci Bakhouche, Chérif Zadi — avaient été arrêtés et sommairement exécutés sur les hauteurs d'El-Milia par la direction de la Zone II. Cette exécution a longtemps été l'un des tabous de la guerre. Dans un courrier adressé au Caire, Abane avait alors considéré qu'il s'agissait d'agents de la DST justement sanctionnés, et pour l'histoire, la mise à mort d'authentiques militants nationalistes continue de poser de lourdes questions sur le cours de la guerre d'Indépendance.
Le Congrès de la Soummam peut-il être un référent pour une refondation nationale ?
Le Congrès de la Soummam répondait d'abord aux conditions d'une guerre inégale, violente et avait eu le mérite d'en clarifier les objectifs, l'organisation et les moyens. Il relève aujourd'hui, tout comme la proclamation du 1er Novembre, du patrimoine mémoriel de tous les Algériens. C'est la citoyenneté qui peut et doit aujourd'hui constituer le référent en partage pour la consolidation du lien national. Le chemin vers la citoyenneté est tout à fait escarpé et se nourrit de batailles quotidiennes, sur des terrains multiples, et ceux qui croient au destin national en partage sont en droit de se revendiquer de tous ceux qui, contre la puissance des évidences et du rapport de force, avaient cru à l'Indépendance de notre pays.
Propos recueillis par : K. K.


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