"Il faut faire attention à ne pas accepter des bonbons à l'école, les enfants ! Vous pourriez tomber malades !" L'alerte a été lancée, il y a quelques mois, par un instituteur à des élèves de... 1re année primaire, dans une école de haï Dhaya, pour les avertir contre des friandises contenant des produits stupéfiants qui ont fait leur apparition dans les établissements scolaires depuis quelques années. Le phénomène de la drogue s'est, en effet, tellement développé que la crainte est arrivée à l'orée des écoles primaires. "Elles se vendent sous forme de sucettes ou de gâteaux", précise un lycéen, assurant que le kif est vendu partout et de manière très naturelle. Du reste, les jeunes ne se cachent plus pour rouler un joint, ils le font ostensiblement, presque avec morgue. "Ce n'est plus un tabou. On entend parler de saisies mais cela n'empêche pas le marché d'être très florissant", confirme un consommateur qui a l'habitude de s'approvisionner dans divers quartiers d'Oran. El-Hamri, Victor-Hugo, Gambetta mais aussi l'Usto, Sidi El-Bachir ou encore Akid-Lotfi où, selon la qualité du produit, la zetla est cédée à partir de 500 DA. "Le bout de kif (qui valait 50 DA dans les années 2000, ndlr) est aujourd'hui revendu à 500 DA. Un bâton vaut 1 500 DA et les 100 grammes entre 3 000 et 5 000 DA", propose un dealer de Gambetta. Ainsi, le marché du kif a, lui aussi, été touché par l'embellie financière et se porte bien, en dépit de la guerre livrée par les services de sécurité et, depuis près de deux années, par l'Armée nationale qui a fait de la lutte contre la drogue une priorité. "C'est une guerre que nous menons contre une nouvelle forme de terrorisme", avait indiqué l'ancien ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kablia en 2013, en annonçant l'implication de l'ANP dans la lutte contre ce fléau venu de l'Ouest. Le durcissement de la lutte antidrogue a permis en 2014 la saisie de plus de 170 tonnes de résine de cannabis, dont près de 90% provenaient du royaume chérifien, selon les estimations de l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (ONLDT). Pour autant, d'importantes quantités passent à travers les mailles du filet puisque le kif est disponible un peu partout, à des prix qui ne découragent pas toujours les consommateurs. Ceux-ci, qui se retrouvent dans toutes les catégories de la société, ont désormais les moyens de se fournir même si certains déplorent le détachement de la gent féminine qui ne rechigne jamais devant le tarif. "Les filles ont les moyens et elles ne reculent pas devant le prix !", se plaint un consommateur de longue date, qui a vécu les changements intervenus dans le marché du kif depuis le début des années 1990. "Il y a toujours le risque de tomber sur des produits de qualité douteuse. Du kif coupé avec des médicaments ou d'autres produits pour augmenter la quantité", avertit-il, ce qui augmente les risques pour la santé des consommateurs. Les médicaments, justement, constituent aussi un marché en plein boom. Et là aussi, malgré la surveillance plus ou moins sourcilleuse que les autorités exercent sur les officines, des psychotropes de toutes sortes (anxiolytiques, neuroleptiques, etc.) sont disponibles sur le marché pour 500 DA le cachet. Ce qui implique, au minimum, la complaisance de pharmaciens et la complicité de malades qui revendraient ces produits acquis uniquement sur ordonnance médicale. Là aussi, les chiffres sont hallucinants : en 2014, plus d'un million de psychotropes ont été saisis par les services de sécurité. Mais en dépit de cet effort, les psychotropes restent disponibles et relativement abordables pour les petites bourses. Les plus nantis s'approvisionnement désormais en produits de synthèse comme haloua, pâle copie de l'ecstasy, qui est proposée à 1 000 DA et même Superman, cachet de forme triangulaire de toutes les couleurs, dont le prix va de 3 000 à 5 000 DA, parfois même 10 000 DA, selon la qualité. Ces cachets ont, pour information, déjà tué des consommateurs en Europe et des pays, comme l'Angleterre, la Belgique et l'Espagne, ont tiré la sonnette d'alarme sur l'extrême toxicité de cette drogue très en vogue. Reste la question de la drogue dure, la cocaïne notamment, qui s'installe dangereusement dans le pays. Rarissime il y a seulement quelques années, Bayda semble s'être créé son petit marché parmi les plus nantis des consommateurs. Le bilan établi par la Gendarmerie nationale qui fait état de la saisie de plus de 80 kilogrammes de cocaïne durant le 1er semestre de l'année en cours, donne la mesure du terrain conquis par la poudre blanche dans un pays de transit qui se transforme doucement en contrée de consommation. Samir Ould Ali