Abandonné face à sa maladie malgré ses appels de détresse, ce pilier du raï a lâché prise dans l'anonymat le plus absolu. Belkacem Bouteldja, pionnier de la chanson raï dans les années 1960 et 1970, est décédé, mardi soir, à l'hôpital universitaire d'Oran, à l'âge de 68 ans des suites d'une longue maladie. Abandonné face à sa maladie malgré ses appels de détresse, ce pilier du raï a lâché prise dans l'anonymat le plus absolu sans que personne n'ait daigné lui offrir une aide. "Je n'ai rien. Je ne possède absolument rien (...) Abandonné ! Oublié ! Je suis abasourdi !", s'est plaint cet artiste de génie à des confrères quelques semaines avant de mourir. Handicapé par une lourde maladie, Bouteldja ne pouvait compter que sur sa fille, résidant dans la wilaya de Saïda, pour le soutenir dans son malheur, ou des voisins charitables. Ni les autorités locales, ni le ministère de la Culture et encore moins "ses confrères et consœurs" n'ont frappé à sa porte pour lui apporter une quelconque assistance. Pourtant, l'homme n'est pas n'importe qui et son parcours plaide pour lui. Né en 1947 dans le quartier populaire d'El-Hamri à Oran, il est venu au raï dans les années 1960 alors qu'il n'était qu'adolescent. Très vite, il enregistre ses premiers tubes qui le propulsent en haut de l'affiche et lui valurent le sobriquet de Joselito d'Oran (en référence à José Fernandez, prodige de la chanson espagnole de l'époque). Quelque temps plus tard, il contribue avec son compère Messaoud Bellemou à moderniser le raï en introduisant de nouveaux instruments, de nouvelles sonorités. Ils intègrent notamment l'accordéon et le synthétiseur à la place du guellal et de la gasba. L'ère des Bouteldja et Bellemou avait commencé et allait durer jusqu'au milieu des années 1980 avec l'apparition des Khaled, Sahraoui et consorts, nouvelle génération de raïmen qui allaient progressivement ravir la vedette aux anciens. Plus tard, lorsque la maladie le contraindra à une semi-retraite, il se retrouvera démuni de tout : sans couverture sociale, sans retraite et sans pension. Comme de très nombreux artistes habités par leur art, il n'a pas calculé, n'a pas été prévoyant. Désormais, il attend la reconnaissance des siens, de son pays, pour sa contribution à un genre de musique devenu un phénomène mondial. Il n'aura rien d'autre que l'indifférence et le mépris. Vaincu par la maladie autant que par le désespoir, Belkacem Bouteldja est mort en laissant derrière lui un style de musique mondialement reconnu, des titres que les puristes réécoutent avec plaisir (Gatlek Zizia, Hadi França, Milouda Ya Ray, Hiya Hiya Wahrania) mais, surtout, cette conviction qu'en matière de culture, l'Algérie ne reconnaît toujours pas les siens. Le défunt a été inhumé hier en début d'après-midi au cimetière de Aïn El-Baïda, à Oran. S.O.A