Anticipant sur les sujets "fâcheux" que la presse algérienne peut aborder avec le président du Sénat français, le Quai d'Orsay a "imaginé" des questions avec des réponses toutes faites à mettre dans la bouche de Gérard Larcher. Le quotidien "Libération" en a publié une bonne partie dans son édition d'hier. La visite du président du Sénat français, Gérard Larcher, depuis hier à Alger, ne sera pas empreinte de toute la sincérité et la spontanéité dont la France pourrait se prévaloir. En connaissance parfaite de la sensibilité et la susceptibilité du régime algérien quant à certains sujets brûlants de l'heure, le Quai d'Orsay a pris le soin d'anticiper sur les questions gênantes qui peuvent être abordées par la presse algérienne pendant le séjour algérois de Gérard Larcher. Le secret a été trahi par le quotidien français Libération qui a publié dans son édition d'hier mardi, une bonne partie d'un document comportant 32 questions auxquelles doit s'attendre l'invité français devant les journalistes algériens. Des réponses toutes faites accompagnent "naturellement" les questions fâcheuses que redoute visiblement le voisin méditerranéen. Et c'est la visite en Algérie du président François Hollande, le 15 juin dernier, qui figure en haut de la liste exhaustive, pour ce qu'elle avait suscité comme polémique au sujet de la succession d'Abdelaziz Bouteflika. "Certains journaux ont dit que la visite en Algérie du président François Hollande, le 15 juin dernier, avait pour objectif d'apporter un appui au président Bouteflika à un moment où l'inertie du système algérien, dirigé par un homme malade, fait face à de nombreuses critiques et où la chute des prix des hydrocarbures met en difficulté le régime. D'autres lui ont prêté l'intention de désigner le prochain président algérien. Que répondez-vous à ceux qui font de telles supputations ?", est-il noté dans le document conçu pour le président du Sénat français. Le Quai d'Orsay qui, visiblement, entendait faciliter la tâche à Gérard Larcher et, surtout, éviter tout malentendu, a fourni même la réponse. Et que voici : "La France n'a naturellement aucune intention d'interférer dans la vie politique de l'Algérie, ni dans le présent ni dans l'avenir. La volonté de la France est de continuer à travailler avec les autorités et le peuple algériens à l'approfondissement de la relation bilatérale et à construire un grand projet pour l'Algérie et la France. La deuxième visite qu'a effectuée le président de la République française en Algérie, en l'espace de trente mois, a montré l'attention et la priorité qu'attache la France à l'Algérie. Elle était destinée à approfondir nos consultations avec le Président algérien sur les grandes questions internationales, à faire le bilan de la mise en œuvre des objectifs fixés en 2012, à renforcer la coopération sur les sujets régionaux et d'abord le Mali, le Sahel et la Libye et à tracer de nouvelles perspectives". L'autre question "imaginée" par la diplomatie française a trait aux entraves à la liberté d'expression, le recul de la démocratie et l'emprisonnement de militants de droits de l'Homme, à l'exemple de Kamel-Eddine Fekhar cité dans le document. La réponse mise par le Quai d'Orsay dans la bouche de Gérard Larcher est au-delà même des attentes du régime algérien : "Vous connaissez l'attachement de la France à la liberté d'expression, et à la liberté de la presse, en Algérie comme partout dans le monde. Cela étant, il ne me revient pas de faire acte d'ingérence dans les débats qui concernent l'Algérie et les Algériens". Des questions et des réponses dans le domaine économique ont été également dictées au président du Sénat français. Les affaires étrangères françaises ont surtout anticipé au sujet de l'usine de montage Renault d'Oran et le projet Peugeot Citroën en Algérie (PSA). La question tant redoutée selon le document publié par Libération est de savoir si "la France, qui est en crise économique, semble ne voir dans l'Algérie qu'un marché lui permettant d'écouler sa production et de redresser son économie ?" La réponse est, bien entendu, truffée de langue de bois comme il en a été le cas plus haut. Il s'agit, entre autres, de "fonder un partenariat efficace (...), de qualité et sur le long terme". La France a aussi anticipé sur la douloureuse mémoire de son passé colonial en Algérie. Mais maintenant que les questions-réponses du Quai d'Orsay relèvent du domaine public, Gérard Larcher devra, certainement, improviser devant la presse ce vendredi, à l'issue de sa visite de trois jours à Alger.