Paru une première fois en 2008, en France, "Saïd Mekbel : une mort à la lettre" vient d'être réédité chez les éditions Frantz Fanon. Il est constitué de trois longs entretiens avec le journaliste au talent incontesté que fut Saïd Mekbel. C'est une remise du couteau dans la plaie, mais qui s'avère nécessaire en ces temps d'amnésie qui permettent aux tueurs et autres bourreaux d'hier de revenir marcher sur les cadavres de leurs victimes. Pire : insulter leur mémoire. En effet, la réédition de Saïd Mekbel : une mort à la lettre vient, à point nommé, rappeler qu'"un passé risque de se répéter faute d'avoir été transmis". Paru une première fois en 2008, en France, Saïd Mekbel : une mort à la lettre vient d'être réédité chez les éditions Frantz-Fanon. Constitué de trois longs entretiens avec le journaliste au talent incontesté que fut Saïd Mekbel, le livre nous replonge droit dans les années de braise et de terreur islamiste qui ont failli réduire la République en cendres. Dans ces entretiens accordés à l'auteure allemande Monika Borgmann, alors journaliste en déplacement en Algérie pour une émission radiophonique, l'ex-directeur par intérim du quotidien Le Matin abordait plus particulièrement la vague d'assassinats qui a ciblé durant le début des années 90 les intellectuels et surtout les journalistes algériens. Une vague d'assassinats à laquelle il n'a pas lui-même échappé une année après ces interviews qui ont eu lieu en décembre 1993. Face à la journaliste, Mekbel livrait, dans des mots poignants, sa vision de l'actualité politique de l'époque, racontait son vécu personnel, sa vie clandestine sous Boumediene, les tortures dont il a été déjà l'objet en 1967, les dangers encourus à chaque coin de rue avec le début de l'assassinat des intellectuels et "le mardi noir" qui emportait chaque fois un de ses amis journalistes. Il racontait aussi sa propre mort qui l'attendait une année plus tard. Saïd Mekbel n'avait, toutefois, pas peur pour autant. "Ce dont j'ai le plus peur, ce que j'appréhende le plus, c'est ce que je vais me dire pendant ces quelques secondes. Mais je le sais déjà... J'ai peur de me reprocher de vouloir faire un faux sacrifice", confiait Mekbel le 12 décembre 1993. Deux jours plus tard, Mekbel raconte ses découvertes sur certains assassinats de ses confrères. "J'ai mis tout de suite une tête sur le commanditaire... Si ce monsieur n'a pas encore décidé pour moi, c'est un peu par respect intellectuel... et puis quand il décidera, ce sera fait", a-t-il froidement lâché en présumant connaître le commanditaire de son futur assassinat. Pour Monika Borgmann, cette interview n'en était plus une. "Les interviews elles-mêmes, où se mêlaient le politique et le personnel, cessèrent pour moi – et peut-être pour lui aussi – d'être de simples entretiens journalistiques pour devenir des sortes de confessions, faisant de moi le témoin de ses pensées", écrivait-elle. Mekbel fut lâchement assassiné le 3 décembre 1994, et depuis cette date, l'auteure vivait, dit-elle, avec l'impression d'avoir, entre les mains, un testament qu'elle n'a eu de cesse de s'interroger si elle avait le droit de le publier. Le livre finira par être publié à Paris en 2008. Il aura fallu attendre 2015 pour le voir réédité en Algérie. Il sera dans les librairies à partir d'aujourd'hui. S.L.