Le président tunisien Béji Caïd Essebsi avait pourtant promis que les libertés individuelles et la liberté de s'exprimer ne seraient en aucun cas atteintes dans son discours du 2 juillet annonçant l'instauration de l'état d'urgence en Tunisie. La Tunisie est-elle sur la voie de l'Algérie des années noires, durant lesquelles l'instauration de l'état d'urgence a donné prétexte à une terrible répression des libertés démocratiques ? Le nouveau régime, post-révolution du Jasmin, sous la conduite du président Béji Caïd Essebsi, s'est autorisé, mardi soir, d'avertir, ouvertement, Tunisiennes et Tunisiens qui seraient tentés de manifester dans la rue, y compris dans un cadre "pacifique" et organisé. C'est ce qu'a décidé, en effet, le ministère de l'Intérieur, dans un communiqué publié tard dans la soirée de mardi et repris par l'agence de presse officielle la TAP. "Le ministère de l'Intérieur se doit d'adopter les dispositions sécuritaires nécessaires pour prévenir toute autre opération terroriste", semblable à celles de Sousse en juin et du musée du Bardo en mars, a justifié Najem Gharsalli, le ministre de l'Intérieur tunisien, en marge de la réunion de la Commission nationale de prévention des catastrophes. "Les responsables gouvernementaux, les partis politiques, les composantes de la société civile et les citoyens devraient exiger du ministère de l'Intérieur l'application de la loi sur l'état d'urgence", a ajouté le ministère de l'Intérieur, affirmant que les groupes terroristes avaient menacé de commettre des attentats contre les rassemblements, les sit-in ou les marches à Tunis et dans n'importe quelle ville du pays. Mais cet argument tient peu la route, car la situation socioéconomique de ce pays voisin est en train de faire bouillonner de nombreuses corporations et mouvements politiques, ainsi que les acteurs de la société civile et de défense des droits de l'Homme. Ce qui explique cette décision radicale d'interdire toute manifestation publique qu'elle soit "pacifique ou de protestation". Le président tunisien Béji Caïd Essebsi s'était solennellement engagé à respecter et à préserver les libertés, lors de son annonce de l'instauration de l'état d'urgence le 2 juillet dernier, au lendemain de l'attaque de Sousse qui a fait 38 morts, tous des touristes étrangers, dont 30 étaient de nationalité britannique. Parmi les dispositions de l'état d'urgence, il est clairement indiqué que "la déclaration de l'urgence donne pouvoir au gouverneur (...) autant que la sécurité et l'ordre public l'exigent : d'interdire la circulation des personnes ou des véhicules, d'interdire toute grève ou lock-out même décidés avant la déclaration de l'état d'urgence". Usant de ce droit, sous prétexte de prévenir toute attaque terroriste, les autorités tunisiennes ont ainsi ouvert la voie à toutes les dérives. Cette disposition avait été sévèrement critiquée et fait réagir de nombreuses organisations, dont Human Rights Watch qui avait affirmé que certes, "les défis auxquels la Tunisie fait face en matière de sécurité justifient sans doute une réponse ferme, mais pas l'abandon de droits dont la garantie dans la Constitution promulguée après la révolution a été obtenue de haute lutte par les Tunisiens". Hier, cinq partis politiques de l'opposition en Tunisie et des personnalités indépendantes ont appelé à défiler samedi contre un projet de loi controversé, sur "la réconciliation économique et financière", en dépit de cette interdiction ferme de Najem Gharsalli. "Nous allons être au rendez-vous ce samedi sur l'avenue Habib-Bourguiba, symbole de la révolution (de 2011), pour réclamer le retrait d'un projet de loi qui instaure l'impunité et divise les Tunisiens, et pour défendre la liberté d'expression et le droit de manifester", a affirmé Maya Jribi, secrétaire générale du parti Al-Joumhouri lors d'une conférence de presse, ont rapporté les médias locaux et les agences de presse. Outre Al-Joumhouri, les partis l'Alliance démocratique, le Mouvement démocratique, Ettakatol et Echaab ont également dénoncé cette interdiction de principe au nom de l'état d'urgence.