Le projet de révision constitutionnelle a fini par prendre forme. Tel que décliné, hier, par le chef de l'Etat, il semble contenir des concessions importantes pour l'opposition. À moins que cela ne relève de la pure tactique. Lecture. Le projet de la révision constitutionnelle, longtemps objet de spéculations et de supputations médiatiques, est finalisé. Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a annoncé officiellement, hier, dans un message solennel, à l'occasion de la commémoration du 61e anniversaire du déclenchement de la Révolution de Novembre 54, qu'il sera "bientôt rendu public". Le chef de l'Etat, qui prit, au printemps 2011, alors qu'était encore bien allumé le brasier des révoltes populaires arabes, l'engagement d'opérer des réformes politiques, et fit, dans ce sillage, la promesse explicite d'une révision profonde de la loi fondamentale, a dévoilé pour la première fois les principaux contours de son projet de nouvelle Constitution. Ces derniers s'articulent autour de cinq vecteurs essentiels : la consolidation de l'unité nationale autour de notre histoire, de notre identité et de nos valeurs spirituelles et civilisationnelles, l'approfondissement de la séparation et de la complémentarité des pouvoirs, avec la dotation de l'opposition parlementaire de moyens d'assumer un rôle plus actif, y compris par la saisine du Conseil constitutionnel, la dynamisation des institutions constitutionnelles de contrôle et la mise en place d'un mécanisme indépendant de surveillance des élections, le confortement, à travers des garanties nouvelles, du respect des libertés des citoyens, ainsi que l'indépendance de la justice et, enfin, la promotion de la place et le rôle de la jeunesse face aux défis du millénaire. Le message présidentiel présente, par ailleurs, la révision constitionnelle comme un accomplissement démocratique, au travers, notamment, de la consécration de l'arbitrage souverain du peuple, s'agissant de l'alternance au pouvoir. "J'espère que cette révision constitutionnelle contribuera à l'affirmation d'une démocratie plus apaisée dans tous les domaines, ainsi qu'à davantage d'épanouissement des énergies des acteurs politiques, économiques et sociaux du pays, au service des intérêts de notre peuple, le peuple qui est la source exclusive de la démocratie et de la légitimité, le peuple qui est le seul arbitre souverain de l'alternance au pouvoir", a souligné le président Bouteflika, précisant, du coup, le sens à donner aux déclarations itératives du secrétaire général du Front de libération nationale, Amar Saâdani, depuis près de deux ans et relatives à "l'Etat civil". L'affirmation coupe court aussi à ceux qui appellent encore l'armée à s'impliquer pour asseoir la transition démocratique. L'opposition politique entendue L'opposition politique, qui revendique solidairement l'institution d'une instance indépendante permanente de surveillance des élections, depuis la conférence de Mazafran en juin 2014, voire bien avant, semble être entendue. Pas qu'en cela cependant, puisque le message présidentiel évoque la séparation des pouvoirs, le renforcement du rôle de l'opposition parlementaire. Autant de leitmotivs politiques qui structurent les discours des partis de l'opposition et guident leurs actions. Le président de la République a souligné dans son message que la révision de la Constitution vise "à l'approfondissement de la séparation et de la complémentarité des pouvoirs, en même temps que l'opposition parlementaire sera dotée des moyens d'assumer un rôle plus actif, y compris la saisine du Conseil constitutionnel", ajoutant que "la dynamisation des institutions constitutionnelles de contrôle tout comme la mise en place d'un mécanisme indépendant de surveillance des élections participent d'une même volonté d'affirmer et de garantir la transparence dans tout ce qui est relatif aux grands enjeux économiques, juridiques et politiques dans la vie nationale". Cet axe de la révision constitutionnel, ainsi dévoilé, s'entend comme un écho favorable aux demandes de l'opposition, même si elle s'est abstenue par deux fois d'en faire l'exposé formel, invitée qu'elle était aux rounds de consultations drivées successivement par le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, et par le directeur de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia. Revendication d'abord du RCD, la mise en place d'une instance permanente de surveillance des élections est redevenue une réclamation partagée par les membres de la CNLTD, puis par le conglomérat élargi que constitue l'Icso. L'opposition, qui milite pour une transition démocratique, fait de l'institution d'une telle instance un préalable à toute opération électorale, la présidentielle anticipée comprise. L'autre concession que le Président semble faire à l'opposition est l'élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire. La loi actuelle limite la saisine du Conseil constitutionnel aux seuls président de la République, président du Sénat et président du Parlement. Statut de langue officielle pour tamazight ? Quel sens pourrait bien prendre l'affirmation présidentielle de ce que la révision de la Constitution aspire à "consolider l'unité nationale autour de notre histoire, de notre identité et de nos valeurs spirituelles et civilisationnelles" ? L'identité nationale étant composée de l'arabité, de l'amazighité et de l'islamité, il ne peut s'agir, à l'évidence et en toute logique, que de la promotion du segment de ce triptyque qui demeure encore problématique, à savoir la constitutionnalisation du statut de langue officielle pour la langue amazighe. La langue arabe jouit déjà de ce statut et l'islam est religion d'Etat. L'officialisation de la langue amazighe, revendication portée durant de longues années par les seuls partis politiques démocratique de l'opposition, notamment le RCD et le FFS, ainsi que par des générations de militants dits "berbéristes", a fini par trouver place, y compris dans les discours de partis proches du pouvoir, à l'instar du FLN de Saâdani. La langue et l'identité amazighes ont connu une première consécration constitutionnelle en 2002. Sous la pression du Mouvement citoyen de Kabylie et des partis d'obédience démocratique, le pouvoir a fini par céder et réviser partiellement la loi fondamentale du pays pour y inscrire tamazight comme langue, tout en faisant savoir que c'était le maximum qu'il pouvait concéder. D'ailleurs, nombre d'observateurs se sont risqués à avancer la promotion de cette langue au statut de langue officielle à l'occasion de cette révision constitutionnelle. Le long différé de la perspective a-t-il porté conseil ? L'opinion sera bientôt édifiée. Y compris d'ailleurs sur la velléité prêtée au président de la République de triturer le préambule de la Constitution pour inscrire la "réconciliation nationale" comme valeur nationale. Certains partis politiques et personnalités reçus par Ouyahia dans le cadre des consultations autour de la révision de la Constitution ont fait la proposition. Conférence parlementaire ou référendum ? Si le président de la République a situé une proche échéance pour la révision de la Constitution, il n'a, en revanche, pas fourni d'indications sur les modalités de cette révision. Jusqu'ici, la supputation a privilégié la voie parlementaire, comme ce fut le cas lors des révisions de 2002 et de 2008. Mais au regard de la nature des amendements qu'il a déclinée dans son message d'hier, il porte à croire que la révision projetée interviendrait par voie référendaire. En effet, le président de la République a souligné une "séparation et une complémentarité des pouvoirs", autrement dit, un réaménagement des équilibres des pouvoirs. Une révision de nature donc à impliquer obligatoirement, conformément aux dispositions de la constitution elle-même, un vote référendaire. S. A. I.