Sonatrach risque de ne pas renouveler des contrats gaziers conclus avec de grandes compagnies européennes. Le ministre de l'Energie l'a reconnu mercredi dernier lors de l'installation des nouveaux vice-présidents de Sonatrach : "Le secteur des hydrocarbures tire vers le bas la croissance économique de l'Algérie. La production d'hydrocarbures du pays est en déclin. Au moment où l'Algérie a besoin (en ces temps de crise) d'augmenter sa production, pour compenser la chute de nos exportations, nous ne pouvons pas le faire. Nous sommes à la limite de nos capacités de production." En clair, si en 2016-2017, la tendance n'est pas inversée, l'Algérie va perdre des parts de marché en ne parvenant pas à renouveler notamment ses contrats gaziers qui arrivent à expiration durant cette période en raison d'un problème de volume, persistant depuis plusieurs années. En d'autres termes, la hausse de la production attendue de la mise en service de nouveaux gisements risque de ne pas être au rendez-vous.Si tel était le cas, les conséquences seront très lourdes. Sur le plan financier, l'Algérie ne saisira pas pleinement l'opportunité éventuelle d'une augmentation des cours prévue entre 70 et 90 dollars le baril. Ses revenus financiers sont donc menacés. Ils ne pourront faire face à la croissance des besoins de financement de l'économie nationale et aux besoins de la population. Sur le plan stratégique, l'Algérie perdra des positions sur le marché gazier européen et ne sera pas en excellente posture pour conquérir le marché asiatique où les prix du gaz sont beaucoup plus chers. D'autant que dans le nouveau contexte, il lui sera difficile de reconduire, selon les mêmes clauses, les contrats longs termes ou Take or Pay. Sur le plan interne, l'incapacité à augmenter sensiblement la production d'hydrocarbures influera sur les capacités algériennes d'exportation. En effet, la croissance de la demande domestique en produits énergétiques en l'absence d'une augmentation significative de production va tirer vers le bas les exportations de produits raffinés et donc avoir des incidences négatives sur le niveau des exportations d'hydrocarbures. Mais comment en est-on arrivé là ? Des retards dans la mise en service de nouveaux gisements Avec le déclin de production des gros gisements tels que ceux de Hassi Berkine, Ourghoud, Bir Rebaâ dans le bassin de Berkine au Sud-Est, qui sont en partie à l'origine du déclin de la production d'hydrocarbures depuis 2009, Sonatrach table sur la mise en service de nouveaux gisements pour compenser non seulement cette baisse de production dans les anciens champs, mais aussi pour augmenter la production globale d'hydrocarbures. Ces nouveaux gisements de gaz et de pétrole sont situés au Sud-Est et au Sud-Ouest. Il s'agit pour le gaz de Tinhert (bassin d'Illizi), les satellites MLSE (Berkine), Gara Tesselit, Issarène, Bourrahat Nord (Illizi), Touat, Reggane, Timimoun, Ahnet, Hassi Mouina, Hassi Ba Hammou, Tikedilt and Akbli (ces 7 champs sont situés au Sud-Ouest). Pour le pétrole, on peut citer les champs de la périphérie de Hassi-Messaoud, Bir Sbaâ, Bir M'sena, Cafc Oil, El-Mzaïd. Les projets, qui connaîtront un retard dans leur mise en service, sont notamment Touat, Timimoun, El-Mzaid, Cafc Oil. Leur mise en service était prévue en 2016. Ils produiront leur première goutte d'huile ou leur premier mètre cube de gaz en 2017, voire bien plus tard. En effet, un responsable amont de Sonatrach a confié que seuls les gisements de pétrole de la périphérie de Hassi-Messaoud entreront en production en 2016 avec une capacité de production de brut de 60 000 barils/jour. Comme ces retards ne peuvent se rattraper, l'essentiel de ces nouveaux gisements doivent entrer en production en 2017. Dans un scénario inverse, il faut dire bonjour à la perte des parts de marché en Europe et donc à une baisse des exportations. Les implications sur la commercialisation et l'aval Ces retards dans la mise en service de nouveaux gisements affecteront le niveau des exportations d'hydrocarbures. Il ne faut donc pas s'attendre à une croissance importante de la production d'hydrocarbures en 2016. Ce problème de volume rencontré depuis plusieurs années est également l'une des raisons du grand retard dans le développement de la pétrochimie en Algérie. D'une dizaine de projets, le programme de développement de la pétrochimie de Sonatrach a été ramené à cinq : un nouveau complexe pétrochimique à Skikda, les unités de déshydrogénation et production de polypropylène d'Arzew et de Beni Mansour, le complexe de méthanol d'Arzew et le projet de Linear Alkyl Benzene (LAB) à Skikda. Faute de disponibilités de quantités de gaz, les discussions de Sonatrach avec les partenaires étrangers intéressés traînent depuis plusieurs années. Du coup, l'Algérie a raté entre 2010 et 2015 l'opportunité d'une plus grande intégration de son industrie (exemples : produits du Lab : matière première utilisée dans l'industrie de la peinture, le polypropylène multiples utilisations : composants d'un véhicule automobile...) et d'une augmentation conséquente de ses exportations. Le monopole de JGC et de Petrofac Actuellement, les sociétés de services pétroliers JGC (Japon) et Petrofac (Grande-Bretagne) exercent un monopole sur le marché des services pétroliers en Algérie, a confié un responsable de Sonatrach. La plupart des projets amont de Sonatrach ont été confiés à ces deux sociétés. Sonatrach trouve actuellement des difficultés pour diversifier les soumissionnaires à ses marchés et donc d'obtenir de meilleurs prix ou de réaliser des économies sur le montant des marchés grâce à la mise en concurrence de ces entreprises. D'autres sociétés, comme l'américaine Bechtel, ne veulent plus travailler en Algérie, a ajouté le même responsable, en raison d'un climat des affaires contraignant. Cette situation contribue au retard dans la mise en service de nouveaux gisements. Ainsi, le secteur des hydrocarbures fait face à de grands dangers. Si la tendance n'est pas inversée en 2016, voire en 2017, en termes de production d'hydrocarbures et en termes de meilleure gestion de Sonatrach, l'Algérie court vers une plus grave dégradation de sa situation financière et donc des conditions de vie de la majorité de la population. K. R