La question de l'éducation prend aujourd'hui, à travers le monde, un tournant décisif au regard des progrès rapides des sciences et de la technologie et de la destinée des peuples face à l'avenir. Durant les décennies écoulées la plupart des Etats ont tenté de développer leurs capacités et de promouvoir l'accès universel à l'éducation pour tous et la qualité de l'enseignement. Mais force est de constater que malgré une prise de conscience universelle et d'efforts évidents enclenchés par la première Conférence internationale de Jomtien (Thaïlande) en 1990, et le Forum Mondial de Dakar en 2000, on reste encore loin des objectifs fixés par les Nations unies pour 2015. Beaucoup d'engagements ont été pris, mais les réalisations demeurent bien en deçà des besoins et des espérances. Les priorités et les moyens varient selon le niveau de conscience par rapport aux défis, des ambitions du développement espéré, de la vision stratégique nationale et de la qualité de la gouvernance de l'Etat. La question de l'éducation en Algérie se pose en ces termes, à l'étape actuelle. Des choix clairs doivent s'opérer dans ce sens en matière de politique éducative et de moyens. Là où l'éducation n'est pas admise comme priorité et droit humain fondamental, règnent encore le sous-développement, la pauvreté, le désespoir de la jeunesse et inévitablement, instabilité, révoltes et violence pour ne citer que cela. De nombreux Etats d'Afrique, du Moyen-Orient notamment, ont encore beaucoup d'efforts à faire dans ce sens. Mais de l'autre côté, dans l'hémisphère Nord, l'éducation est aussi un problème majeur. Dérèglement structurel, crise de croissance, baisse des budgets, compression du personnel enseignant, chômage des jeunes..., sont aussi les maux de nombreux pays développés. Dans tous les cas de figure la problématique de l'éducation conditionne l'avenir de tous les pays quels que soient leur niveau socio-économique et leur assise politique. C'est le défi du siècle. L'éducation est donc un perpétuel recommencement pour la conquête du progrès. C'est une mission permanente d'éveil, d'innovation, d'adaptation et de changement. Qu'il s'agisse de rattraper les retards en matière de développement, de procéder à d'impérieuses réformes économiques, sociales et culturelles, de promouvoir la recherche, l'innovation et la créativité, de lutter contre la violence, l'intolérance et de promouvoir les valeurs humaines fondamentales, l'éducation reste et restera le cadre incontournable pour ce faire. Mais on sait aussi que l'éducation, en tant que conception et processus de mise en œuvre de projets économiques, sociaux, culturels, politiques ou même personnels, exige une démarche interdisciplinaire complexe, longue et difficile à élaborer, à mettre en place, à évaluer et à réajuster. Aucune réforme ne peut réussir si elle n'implique pas les acteurs directs du système éducatif. La gestion administrative ne peut être un instrument efficace de planification du changement que si elle est liée à une bonne gouvernance. Les résultats éducatifs ne sont pas un produit industriel et leur impact n'est pas aussitôt mesurable. La raison est que l'école, le lycée ou l'université ne sont pas des entreprises comme on serait tenté de le croire. C'est pour cette raison que la modernisation des systèmes d'éducation, leur adaptation aux réalités d'aujourd'hui, la qualité de la formation prodiguée et leur performance ne peuvent se faire sans des engagements politiques clairs, une vision stratégique à long terme et une projection sur l'avenir au double plan national et mondial. Les moyens financiers et les ressources naturelles ne garantissent pas d'emblée une éducation performante. Mais le contraire est vrai : une éducation efficace est garante d'un développement national performant. Au regard d'une mondialisation structurelle et compétitive, aucun pays ne peut, aujourd'hui, vivre en autarcie, fermé sur lui-même, sous peine d'une dangereuse régression quelles que soient ses ressources potentielles. La coopération, les échanges d'expériences, les bonnes pratiques réussies ailleurs sont aujourd'hui plus que jamais, un facteur accélérateur du progrès, un gain de temps précieux et un enjeu de la solidarité régionale et internationale. C'est une autre façon de construire la coopération et la mondialisation. Voulues, maîtrisées et non guère subies. Réflexions sur le système éducatif national Pour ce qui est de la réalité proprement nationale, il faut souligner que le processus en cours d'un dialogue national ouvert sur l'éducation, est une avancée majeure comparée aux différentes étapes sur cette question depuis l'indépendance. Les premières mesures concrètes ont été inscrites dans le sillage des fameux Plans quadriennaux des années 70. Les appels patriotiques urgents de Mostefa Lacheraf en son temps, sont restés sans écho, étouffés par des voix rétrogrades. La réforme Benzaghou a été limitée à des cercles technico-administratifs sans impact réel sur l'avenir. La décennie noire a, pour sa part, visé tout particulièrement la matrice éducative et culturelle, faisant des dégâts considérables. Tout cela montre l'importance des enjeux de l'éducation en Algérie et les espoirs de progrès qu'elle suscite au niveau du peuple et de la nation. Toutes les tentatives d'amélioration et leurs échecs résultent aussi de la difficulté de cerner la réalité nationale et de formuler une politique éducative claire et cohérente à la mesure de la priorité déclarée au sommet de l'Etat. Le recours précipité et massif à la coopération, moyen-orientale notamment, dans nos établissements, dans les premières décennies de l'indépendance, a eu un effet contre-productif dont on n'a pas encore mesuré, à ce jour, toutes les implications perverses. L'Algérie a failli perdre son âme et son Histoire multi-millénaire. La suite, on la connaît. Le pays dispose assurément de moyens, de ressources humaines et de compétences à la hauteur de son ambition. Il souffre en toute évidence, d'un déficit de bonne gouvernance, de manque de confiance en ceux et celles qui, à tous les niveaux, mènent la bataille du progrès éducatif et de la modernité. Il est indispensable dans ce sens d'élargir encore le sens du dialogue et de l'engagement franc et redevable dans la réalisation, l'évaluation et le suivi des recommandations les plus pertinentes de la Conférence nationale, et de soutenir une telle initiative. Le projet de réforme en cours augure d'un tournant qualitatif et historique pouvant, enfin, apporter au système éducatif algérien le cadre d'une approche stratégique dont il a urgemment besoin, et le soutien citoyen nécessaire à sa mission irremplaçable pour l'avenir du pays. C'est un défi majeur qu'il faut relever pour être au rendez-vous du XXIe siècle. En dehors de l'exemple éducatif spectaculaire de la République de Chine, ce n'est pas par hasard, que les efforts de petits pays comme la Norvège, la Suisse, le Danemark ou la Belgique les placent en tête du classement IDH (indice de développement humain - Nations unies), et qu'un pays comme le nôtre malgré 50 ans d'édification, reste encore surpassé par des Etats démunis de ressources naturelles comme le Liban, la Jordanie, la Tunisie ou la Turquie. Pour bâtir durablement l'avenir, l'école algérienne a besoin que la réforme annoncée prenne en considération l'amélioration globale et intégrale du système éducatif. Pas seulement des aspects parcellaires. En résumé, on peut insister sur deux niveaux qui se complètent :
Questions de contenu (objectifs pédagogiques) : i- traduire en contenus d'enseignement les valeurs nationales liées à notre appartenance historique authentique : amazighe, arabo-musulmane, africaine, méditerranéenne, universelle. Malgré toutes les occupations de l'histoire, le Maghreb/Ifriqiya reste une identité historique, humaine, culturelle, religieuse, sociale et politique authentique que nos enfants ne peuvent ignorer sans perdre leurs origines réelles, leurs références existentielles et le sens même de nos longs combats d'indépendance et de souveraineté nationale. ii- Définir un plan stratégique de formation permanente et de mise à niveau des personnels d'enseignement : enseignants, inspecteurs, conseillers pédagogiques, nouvelles recrues... En sciences de l'éducation, aujourd'hui plus qu'hier, aucune formation n'est acquise pour toujours. La formation permanence est une option fondamentale pour une éducation de qualité et pour une compétence croissante des personnels concernés. iii- Renforcer les matières stratégiques de base : langue nationale, langues étrangères, mathématiques, sciences et technologie... qui constituent aujourd'hui les fondamentaux de la réussite scolaire et de l'insertion socioprofessionnelle. iv- Développer et promouvoir la culture de l'évaluation et de la performance pédagogiques. Sans évaluation constante des programmes, des méthodes et des niveaux d'enseignement, on ne peut savoir quel impact réel l'école a sur les élèves, et quel est son coefficient coût/efficacité pour l'ensemble du système socio-économique national. v- Promouvoir le principe de Projet éducatif de wilaya et d'établissement (PEW et PEE) sur 2 ans, fondé sur des objectifs prioritaires à chaque niveau. Exemples : scolarisation des filles, lutte contre le redoublement/déperditions, élévation des performances dans certaines disciplines, concours scientifiques, coopération inter-établissements : clubs linguistiques, informatiques, culturels, sportifs, etc. vi- Quant à la question de l'usage de la darija, il suffit de comprendre que la langue arabe a toujours été une langue à double vitesse : la langue dite classique du pouvoir (politique, social et religieux), et la darija des classes populaires. En fait, une dichotomie sociolinguistique entretenue pour garder la distance entre "tabaqa el-oulia" et "tabaqa soufla", tout au long de l'histoire arabo-musulmane. La démocratisation réelle de l'éducation est née seulement avec les indépendances, au Machrek comme au Maghreb. À ce jour l'ensemble des Etats de la Ligue arabe ne possède pas de dictionnaire commun, malgré les tentatives du Liban et du Maghreb. Encore moins un lexique efficient de terminologie scientifique et technologique. Le XXIe siècle attend encore d'être invité à franchir les portes de nos écoles. Jusqu'à quand ? Pour le reste, la psycholinguistique montre qu'il n'y a aucun problème particulier de laisser les enfants s'exprimer librement en classe dans leur langue maternelle naturelle. Au plan pédagogique et dans la relation élève-maître, il n'y a que des avantages en faveur d'un apprentissage rapide et efficace. Les discours sur cette question constituent une diversion qui occulte la marche en avant des réformes nécessaires pour l'avenir de nos enfants. Questions de gestion/management : i- Renforcement de la bonne gouvernance du sommet à la base (culture du dialogue intra-institutionnel et extra-institutionnel), visites régulières sur le terrain, allègement des procédures administratives, suivi permanent et actions redevables (accountability), confiance dans la délégation des responsabilités...) ii- Formation et mise à niveau des cadres de gestion : cadres de direction des wilayas, chefs d'établissements, personnels administratifs.... iii- Programmation des moyens (financiers, matériels, logistiques...) selon les priorités. iv- Institutionnalisation de prix de distinction pour les meilleurs enseignants et cadres de l'éducation à la fin de chaque année scolaire. v- Echanges scolaires et jumelage d'établissements au niveau national et international. Il reste naturellement à assurer dans le temps, l'articulation structurelle et la progression des contenus pédagogiques primaire/moyen, moyen/secondaire et secondaire/supérieur. La création d'un bac professionnel par exemple, a autant d'implications pour le secondaire que pour le supérieur et le monde du travail. Dans ce sens, l'analyse coût/bénéfice et les rendements interne et externe du système de formation constituent un axe de préoccupation prioritaire dans une logique d'efficacité mesurable, sans laquelle on ne peut maîtriser des risques socio-économiques et politiques toujours possibles et imprévisibles. K. B. Expert-conseiller en politiques et stratégies de l'éducation et de la formation