La Constitution de 1996 a institué la deuxième chambre parlementaire dite Conseil de la nation et a disposé sur les attributions et compétences des deux chambres. La loi de 2001 portant statut du parlementaire a défini, quant à elle, ses relations organiques et le statut de leurs membres. Le Conseil de la nation est composé de 144 membres élus parmi les élus locaux (APC et APW ) dont 1/3 d'entre eux désignés, dit-on, parmi les compétences nationales par le président de la République et tous renouvelables selon les règles constitutionnelles et la loi portant statut du membre du Parlement. Cette institution, au demeurant très convoitée depuis son installation en 1997, a suscité des appréciations multiples quant à son utilité de même qu'elle a été sujette à des procès d'intention et non des moindres sachant que le président de la République lui-même l'a vilipendée dans un de ses discours tenu juste après sa première investiture en 1999. Ainsi, depuis sa création, d'aucuns ont plaidé et continuent de le faire, pour au moins son utilité politique, d'autres, en revanche, relevaient, non sans raison, son inconsistance juridique et législative qui, selon eux, fait du Conseil de la nation un "ersatz" de Sénat qui doit vite être réformé au besoin pour en faire une réelle deuxième chambre jouant pleinement son rôle dans le cadre d'un véritable bicaméralisme parlementaire, sinon disparaître du paysage institutionnel. 1 – De l'utilité politique du Conseil de la nation Rappelons-nous déjà que l'élection présidentielle de 1995 s'est déroulée dans un climat de peur politique et sociale, car le spectre d'une dérive intégriste planait toujours sur la nation et en menaçait l'existence même. Aussi, si les résultats du scrutin législatif interrompu de décembre 1991 avaient ébranlé la confiance des gouvernants de l'époque, les tenants du système d'après l'interruption du processus électoral n'étaient pas en reste, car la peur d'un possible basculement politique et social fatal pour le pays, hantait toujours les esprits de par la mise en quarantaine de la Constitution et par là de la volonté du peuple, par l'intronisation durant cinq longues années d'institutions parlementaires transitoires, qui étaient beaucoup plus un réceptacle pour cadres des partis nouvellement créés et les diverses corporations administrative, professionnelle, associative et syndicale et autres, qu'une représentation populaire. Entre-temps, le citoyen gardé en latence attendait toujours pour se prononcer et élire ses institutions représentatives élues. C'est dans ce climat presque délétère que le pouvoir a élevé le général Zeroual, ancien ministre de la Défense, à la tête du pays en 1995, et qui juste après son intronisation, a "réveillé" la Constitution de 1989 en lui apportant un "lifting" en 1996 qui s'inscrit beaucoup plus dans l'optique d'une réaction de "self défense" pour prémunir les institutions d'une dérive toujours possible. Aussi une deuxième chambre parlementaire dite conseil de la nation a été créée pour baliser l'Assemblée populaire nationale mise au piquet depuis l'arrêt du processus électoral de décembre 1991. Cette deuxième chambre, aux relents beaucoup plus politiques que législatifs, a pour rôle essentiel de "protéger" le système contre toute dérive impulsée par une éventuelle majorité indésirable à l'assemblée, car déjà, le pouvoir projetait à court terme le retour à la légitimité populaire par l'organisation d'un scrutin législatif dans la foulée de la réforme constitutionnelle qui mettait dans ce registre fin à "la transition parlementaire administrée" depuis 1992 par le Conseil consultatif national (CCN) puis par le Conseil national de la transition (CNT). Ainsi moins d'un an après la promulgation de la Constitution amendée de 1996, des élections législatives supposées sans risque, ont été minutieusement préparées en mars 1997 dans la foulée de l'agrément d'un parti politique dit nationaliste, porteur (et feu, Abdelhak Benhamouda n'est pas en reste) que le pouvoir a récupéré après l'assassinat de son précurseur pour rafler la mise parlementaire avec la bénédiction de l'administration qui a tourné le dos au parti de Novembre jugé à l'époque en perte de vitesse. La déferlante de ce parti aux législatives s'est confirmée et s'est consolidée lors des élections locales (APC et APW) et s'est concrétisée naturellement au Conseil de la nation, nouvellement mis en place qui dispose ainsi d'une majorité pouvant assurer une protection inébranlable renforcée de plus, par 1/3 de ses membres désignés par le président de la République, et ainsi jouer le rôle politique "de gardien" contre toute "velléité" législative non désirée de la première chambre. Ce rôle politique assigné par la Constitution de 1996 au Conseil de la nation amenuise grandement ses attributs légilatifs. Le Conseil de la nation apparaît ainsi constitutionnellement comme un organe de régulation politique de l'activité législative de la première chambre parlementaire et rien de plus, car ses attributions législatives sont tellement minces qu'elles sont très loin d'être celles conférées à un véritable Sénat dont l'institution n'a, par ailleurs, réellement jamais été une réelle préoccupation dans la philosophie institutionnelle du pouvoir. Etant donc tout simplement une institution politique de "self défense" parlementaire, le Conseil de la nation n'est donc pas juridiquement un Sénat au sens étymologique et juridique du terme, et ses membres sont des membres de ce conseil et non des sénateurs tel qu'il ressort des termes de la Constitution de 1996 et de la loi de 2001 relative au statut du membre du Parlement qui traduisent clairement une volonté d'amenuisement des attributs législatifs de cette institution et ce, depuis sa mise en place en 1997. 2- Amenuisement des attributs législatifs du Conseil de la nation Le Conseil de la nation ou seconde chambre parlementaire est dénué au moins de deux attributions classiques dévolues à un Sénat et cela au regard des textes qui le régissent et qui nous renseignent sur trois évidentes déficiences qui plombent cette institution en restreignant ses prérogatives parlementaires d'abord, et en l'amarrant substantiellement au pouvoir exécutif ensuite : La première déficience est celle pour le Conseil de la Nation de ne pas pouvoir amender une loi votée par l'Assemblée populaire nationale sans se référer à celle-ci, en ce sens que le Conseil de la nation n'a que l'attribution de bloquer la loi après rejet en séance plénière pour ensuite susciter l'arbitrage d'une commission paritaire siégeant en son sein, et composée à égalité de membres avec l'Assemblée, pour s'accorder sur des points de divergences législatives avant le renvoi devant cette première chambre parlementaire de la loi à adopter lors d'une seconde lecture après accord et levée des réserves. - La seconde déficience réside dans le fait que le Conseil de la nation n'a pas l'attribution de proposer des lois comme cela entre dans les prérogatives d'un Sénat classique en tant que chambre haute d'un Parlement dans toute son acception juridique et parlementaire à l'image de ce qui existe dans les vieilles démocraties à véritable système législatif bicaméral qui confère au Sénat l'attribution essentielle qui est l'initiative parlementaire ou plus simplement l'attribution de proposer des lois. - La troisième et grave déficience du Conseil de la nation est celle de sa mise sous la coupe du pouvoir exécutif pour en devenir sa véritable excroissance, cela par l'entremise du 1/3 présidentiel qui constitue la véritable tendance lourde au sein de cette institution. Ce 1/3 présidentiel désigné par le président de la République bat en brèche le principe de la séparation des pouvoirs par l'intrusion de l'exécutif dans le législatif ; et la présence de membres désignés dans le Conseil de la nation fait de celui-ci un "non-Sénat", sachant qu'une véritable deuxième chambre parlementaire ne s'accommode que de l'élection intégrale de ses membres par les seuls grands électeurs, et non de leur désignation même en partie. Plombé par ces trois déficiences et réduit à débattre sans plus les lois adoptées par la première chambre sans possibilités d'amendement, ne disposant pas de l'initiative parlementaire, et de surcroît miné par l'Exécutif, le Conseil de la nation ne peut pas, et à juste titre, du moins pour le moment, être assimilé à un Sénat au sens juridique et institutionnel. Jusqu'à aujourd'hui les Constitutions de 1996 et 2008 et la loi relative au statut du parlementaire de 2001, consacrent l'Assemblée populaire nationale et le Conseil de la nation avec ces trois déficiences énumérées ci-dessus comme les deux chambres du Parlement algérien ; ce qui fait clairement état, si besoin est, de la volonté politique de conférer à la deuxième chambre parlementaire une atrophique vocation législative sous la coupe de l'Exécutif, et renseigne sur ce que le seul souci de son érection est celui d'être "le gardien" et le contrôleur politique de l'activité parlementaire de la première chambre. C'est ainsi, et à juste titre, que le vocable "sénat" et celui de sénateur sont éludés dans les deux textes qui consacrent l'un et l'autre celui de "Conseil de la nation" et de "membre du Conseil de la nation" en lieu et place de "sénat" et "sénateur" qui sont des appellations usuelles utilisées improprement à contre-courant de la légalité par tous les "utilisateurs" y compris les institutions officielles, qui savent pourtant, mieux que quiconque que, constitutionnellement et légalement, le Parlement algérien est composé de deux chambres : l'Assemblée populaire nationale composée de députés et le Conseil de la nation composé de membres du Conseil de la nation. Le scrutin du 29 décembre 2015 prochain concernera donc des élections pour le renouvellement de 48 membres du Conseil de la nation et la désignation de ceux renouvelables dans le cadre du 1/3 présidentiel, et non pas des "sénateurs", vocable communément usité par les citoyens, les parties politiques et même les responsables des institutions, à commencer par le ministre de l'Intérieur, organisateur en chef du scrutin, et cela en méconnaissance de la légalité constitutionnelle et des prescriptions de la loi relative au statut du membre du Parlement. Peut-être, et nous le souhaitons vivement, que les amendements constitutionnels actuellement projetés feront du Parlement algérien un véritable pouvoir législatif indépendant, et donc de la deuxième chambre parlementaire un véritable Sénat avec ses pleines attributions législatives, et de ses membres des sénateurs par la force de la Constitution. Pour cela il faudrait conférer à la chambre haute du Parlement toutes les attributions législatives dévolues à un Sénat, sans restriction aucune, et le soustraire de l'emprise présidentielle par la suppression pure et simple de la formule de désignation d'une partie de ses membres qui, jusqu'à présent, a fait du Conseil de la nation un véritable appendice du pouvoir exécutif, portant une grave atteinte au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. A. A. (*) Avocat, ancien député, ancien membre du comité central du FLN