Bien que, depuis plusieurs années, beaucoup d'experts, certaines institutions, dont Sonelgaz, et quelques think tanks aient lancé des alertes sur le fait que le modèle de consommation énergétique était insoutenable, rien n'avait été fait. Il a fallu attendre que la crise pétrolière de 2014 bouscule l'artificiel confort budgétaire pour que les pouvoirs publics, contraints et forcés, fassent bouger les lignes en la matière, après plus de 10 ans de gel des prix. Avant de passer en revue les impacts de ses augmentations sur les ménages, les branches économiques et les entreprises, rappelons quelques éléments problématiques de contexte. Une consommation nationale qui a plus que triplé en une décennie : 56 millions de TEP en 2014 contre 17 millions de TEP en 2005. Les perspectives à 2030 sont encore plus inquiétantes puisque nous avons calculé, dans une communication conjointe faite au Club Energy avec mon ami Abdelmadjid Attar, que la courbe de la production et celle de la consommation domestique de gaz naturel se croiseront à cette date. En d'autres termes, nos exportations de gaz cesseront en 2030 et une partie de plus en grande de notre consommation devra être importée. Cela est d'ailleurs facilement envisageable lorsqu'on se réfère aux propos du ministre de l'Energie qui nous apprend que la consommation d'électricité a augmenté de 15,2% entre juillet 2014 et juillet 2015. Du point de vue de la structure de consommation énergétique, il est d'usage de la segmenter en trois grands groupes utilisateurs. Le premier groupe représente le secteur de l'industrie avec 20% de la consommation nationale d'énergie (un peu moins d'un quart mais en forte croissance). Le second groupe est celui du secteur du transport avec 36%. Le dernier groupe, et le plus important, est celui de la consommation des ménages et du secteur tertiaire qui consomme 44%, soit un peu moins de la moitié du total. Tous ces groupes de consommateurs d'énergie sont concernés de façon différenciée par ces augmentations, sauf, pour le moment, pour les carburants dont les tarifs sont indifférenciés. Quels seront les effets respectifs des augmentations sur chacun de ces trois groupes consommateurs d'énergie ? Auront-ils des effets vertueux en termes de diminution du gaspillage et d'efficacité énergétique ou à l'inverse des effets d'éviction en termes de moindre confort énergétique et de recul de croissance dans certaines activités industrielles et de services ? Ce qu'il faut d'abord savoir c'est que l'augmentation des carburants est intervenue dans la loi de finances 2016 (LF2016). S'agissant de la révision des tarifs de l'électricité et du gaz naturel, elle a été opérée en deux phases. Dans une première phase par l'augmentation de la TVA contenue dans la LF 2016 et dans une seconde phase par décision de la CREG D/22-15 du 29 décembre 2015 portant fixation des tarifs de l'électricité et du gaz. Rappelons que la précédente décision en la matière datait du 30 mai 2005 sous la référence D/06-05/CD. Commençons par le secteur industriel qui enregistre les plus fortes augmentations. Il s'agira des filières energivores qui seront concernées par ces augmentations telles que celle des matériaux de construction (cimenteries, faïenceries), celle de la métallurgie (fonderies, aciéries, tréfileries, câbleries) et les usines de dessalement d'eau de mer. Il s'agira également des filières utilisant aussi les hydrocarbures, notamment le gaz naturel, comme matières premières (usines pétrochimiques, usines d'ammoniac et d'engrais.). Il s'agira enfin de toutes les PME utilisant des fours et autres installations de process à feu continu. Selon une excellente simulation faite par notre confrère Le Jeune Indépendant, si ces installations industrielles utilisent du gaz naturel à haute pression l'augmentation hors taxes sera de 48,48% ; si elles utilisent du gaz naturel basse pression l'augmentation ne sera que de 26,50% hors taxes. Pour l'électricité, l'augmentation en moyenne tension et haute tension sera de 32% hors taxes. Je préfère donner les chiffres hors taxes pour les entreprises car ces dernières récupèrent en bout de cycle cette TVA. Le second groupe et celui du transport concerné uniquement par la hausse des carburants qui constituent leur premier poste en termes de charges variables. Devant la double exigence de "préserver et le pouvoir d'achat du citoyen et les droits des transporteurs", le ministre en charge du secteur a mis en place une commission mixte pour traiter "la question des tarifs et les mesures d'allègement des charges en vue d'atténuer l'impact de la hausse des carburants". Les marges de manœuvre vont s'avérer étroites pour maintenir les prix des transports au niveau de ceux de 2015 sans mécanisme transitoire d'allègement. À suivre donc le résultat des négociations en cours. S'agissant enfin du troisième groupe, ceux des ménages qui ne consomment que moins de 1000 kWh d'électricité ne subiront aucune augmentation. De même les ménages qui consommeront moins de 10 000 thermies de gaz naturel ne verront pas leur facture s'alourdir. Restent les activités tertiaires dont le poste énergie n'est pas à proprement parler lourd qui pourront le cas échéant absorber, sans trop de difficulté l'augmentation des prix d'énergie. Enfin pour l'agriculture, comme pour le transport des dispositifs spécifiques d'allègement devront être trouvés et mis en place. Pour conclure on voit bien à l'examen de ce dossier que, tout compte fait, la LF2016 peut être un point d'appui pour les réformes structurelles à venir. La façon dont seront gérés les effets des augmentations des prix de l'énergie servira pour la suite de l'exercice de sortie d'une crise qui n'en est à qu'à son début. Tous les partenaires sociaux sont concernés par l'effort, y compris ceux des entrepreneurs locaux et étrangers qui ont bénéficié pendant des décennies d'un prix d'énergie très faible. Ce qui leur a permis de faire, nous ne sommes pas naïfs, des profits bien au-dessus des standards internationaux. Il est temps à présent qu'ils renvoient l'ascenseur en absorbant dans leur cycle d'exploitation une partie de ces augmentations. C'est ce que je considère, pour ma part, comme une contribution positive et consensuelle à la fermeture des robinets de la rente. Mustapha Mekideche [email protected]