L'une des principales caractéristiques qui marquent la succession des procès pour trafic de drogue au tribunal criminel d'Oran est l'absence des principaux accusés, ces "barons" dont police et gendarmerie annoncent régulièrement l'arrestation à travers les journaux. Invariablement, ils sont en état de fuite et font l'objet de mandats d'arrêt alors que les "petites mains", dealers ou receleurs sans grande envergure, sont poursuivies pour des chefs d'inculpation aussi lourds que l'importation illégale de produits stupéfiants en bande organisée, possession ou transport de drogue. Fin janvier, la cour d'assises d'Oran a jugé une affaire dans laquelle 10 personnes étaient poursuivies pour trafic international de drogue. La majorité des accusés impliqués entre recéleurs et transporteurs a écopé de peines allant de 20 ans à la réclusion à perpétuité, tandis que celui qui était considéré comme l'importateur de la bande se trouve en fuite. Il a bien été condamné à la perpétuité par contumace, mais il a, tout de même, réussi à passer à travers les mailles du filet pour aller se réfugier à l'étranger. Mercredi 20 janvier, deux jeunes agriculteurs de la wilaya de Tlemcen étaient condamnés à 20 ans de réclusion criminelle, l'un pour avoir été pris en flagrant délit de transport de 15 quintaux de kif, le second pour avoir été en relation avec le principal accusé, chef de bande présumé. Celui-ci, en fuite, a été condamné à la perpétuité. Selon l'un des avocats, les deux condamnés n'étaient pas allés au-delà des études primaires et vivaient dans des conditions sociales pénibles. Le 2 décembre 2015, trois narcotrafiquants écopaient de 25 années de réclusion criminelle pour avoir été impliqués dans le trafic de 21 quintaux de kif. Là aussi, les inculpés présents sont des transporteurs et receleurs au niveau d'instruction très moyen et à la situation sociale difficile, et le principal accusé, celui qui, selon l'accusation, était aux commandes du trafic, se trouvait en état de fuite. À étudier d'un peu plus près ces trois affaires (et d'autres encore, les procès de drogue sont légion ces dernières années), il apparaît que les principaux responsables des différents réseaux de trafic se retrouvent rarement dans le box des accusés et que ce sont de simples lampistes qui justifient, judiciairement autant que médiatiquement, l'efficacité de la lutte contre le trafic de drogue, notamment depuis que ses liens avec le terrorisme ont été identifiés. Dans la frange juvénile déboussolée et perdue de Maghnia, de Tlemcen, d'Oran, de Relizane ou de Tiaret, de futurs transporteurs, dealers ou receleurs attendent d'être recrutés par les trafiquants de drogue comme, dans les années passées, leurs aînés, par centaines, ont été la proie facile des recruteurs des groupes terroristes. "Quel est cet Algérien de modeste condition et aux perspectives bouchées qui refuserait de toucher 200 millions de centimes pour le simple transport d'une cargaison de drogue entre deux wilayas ?" s'est demandé un avocat du barreau de Tlemcen en estimant que, dans l'état actuel des choses, la frange juvénile constitue une précieuse réserve à la disposition des grands trafiquants. Ce que tend à confirmer le rapport de l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (ONLDT), selon qui, le nombre de personnes interpellées en 2015 était en hausse de 66,60% par rapport à 2014, soit 14 124 individus contre 23 531 personnes. Et même si le bilan ne le dit pas, il est facile d'imaginer que l'écrasante majorité de ces personnes sont des jeunes aux sombres perspectives d'avenir. Il faut signaler que, selon l'ONLDT, 60,35% des 110 tonnes de kif saisies en 2015 provenaient du Maroc qui, rappelons-le, reste leader mondial de résine de cannabis. Dans sa lutte contre le trafic de drogue, l'Algérie continue de favoriser l'aspect répressif au volet prévention, sensibilisation et amélioration des conditions de vie de la catégorie juvénile. Un jeune de 18 ou 19 ans, victime de déperdition scolaire, rebuté par une formation professionnelle inadaptée, vivant dans une société en perte de repères et incapable de le protéger, est une proie incapable de résister indéfiniment à l'appel du gain facile. Tôt ou tard, il tombera dans le piège de la drogue, qui le conduira directement dans le box des accusés. Samir Ould Ali