Tu es morte trop tôt, fugitive, pourtant tu ne m'as pas fuie et moi je ne t'ai pas fuie non plus, nous sommes innocentes. Oui, je sais que ta voix est basse, elle n'est audible que par les âmes éveillées. Qui ne fondait pas en larmes en voyant ton sourire ? Les anges eux-mêmes fondent en larmes devant tant de bonté qui émane de ton sourire. Les pleurs ne sont-ils pas une plainte ? Toute plainte n'est-elle pas une accusation ? Comment ai-je pu supporter ? Comment ai-je enduré et surmonté de telles blessures ? Comment mon âme a-t-elle pu ressusciter d'un tel tombeau. Mais je veux dire le mot que voici à tes ennemis : que peuvent bien être tous les meurtres devant ce que vous m'avez fait ? Vous m'avez pris ce que rien ne saurait me rendre, vous m'avez volé mes rêves. Quant à eux, qui n'ont jamais marché sur le tapis de la connaissance, ils ont jalonné de leurs propos sanglants, les chemins qu'ils suivaient, et leur folie leur enseignait que l'on prouve la vérité avec le sang. Mais le sang est le plus mauvais témoin de la vérité : le sang empoisonne même la doctrine la plus pure du venin de la folie et de la haine des cœurs. Regardez-les grimper, ces singes agiles, ils grimpent les uns sur les autres et ainsi s'entraînent dans la boue et l'abîme. Tous veulent accéder au trône ; c'est leur folie, comme si le bonheur était assis sur le trône. C'est souvent la boue qui est sur le trône et souvent aussi le trône sur la boue. La vie est une source de vif plaisir mais là où la canaille boit aussi, tous les puits sont empoisonnés, ils ont même empoisonné l'eau sacrée avec leur bassesse et ils ont baptisé du nom de plaisir leurs rêves malpropres, non, ce n'est pas ma haine, mais c'est mon dégoût qui a rongé avec avidité ma vie. Hélas, souvent je me suis fatigué l'esprit lorsque je trouve aussi cette canaille car, en fin de compte, ils ont réussi à empoisonner même les mots. J'ai tourné le dos aux maîtres de l'heure lorsque j'ai vu ce qu'ils appellent maintenant la réconciliation. Alors, pour eux, gouverner : c'est marchander avec le sang de tous les martyrs de notre chère Algérie. Comment peut-on parler de justice ? La justice n'existe pas encore. Aujourd'hui, cela fait 22 ans de souffrance, de mépris et d'injustice. Et rien ne peut me consoler, sauf cette solidarité de tous les Algériens anonymes, qui ont exprimé leur rage de ce système condamné par l'histoire. Je lance à cette occasion la création d'une fondation au nom de Katia Bengana. Gloire à nos martyrs d'hier, gloire à nos martyrs d'aujourd'hui. N. B.