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« C'est sur la politique de protection biologique que l'Algérie devrait se pencher »
Farès Kessasra, consultant de l'UNESCO, à Liberte-algerie.com
Publié dans Liberté le 18 - 03 - 2016

L'investissement dans le secteur agricole est l'un des moyens les plus efficaces pour réduire la faim et la pauvreté. Néanmoins, ce secteur fait face à de nombreux défis pour répondre aux besoins attendus. Liberte-algerie.com a pris attache avec Farès Kessasra, maître de conférences à l'Université de Jijel, chercheur et consultant au Programme hydrologique international (PHI) de l'Unesco, à Paris, pour revenir sur les difficultés que rencontre le secteur agricole.

[Interview réalisée par Imène AMOKRANE]

Liberte-algerie.com : Est-il temps d'adapter notre agriculture à notre "nouveau climat" ?
Farès Kessasra: En fait, les agriculteurs du Sud ont su, depuis une décennie, trouver des modes d'adaptation de leur agriculture au climat rude d'Adrar, d'Illizi et d'El Oued. La généralisation de la technique du goutte-à-goutte leur a permis de surpasser le problème de disponibilité de l'eau, qui n'est pas totalement résolue ceci-dit, mais la technique est pionnière dans la politique d'économie de l'eau. L'eau reste une denrée rare dans le Sud et des forages d'eau d'une centaine de mètres leur reviennent excessivement chers. Ils ont su adapter également leurs cultures aux spécificités de leurs sols et puis l'espace dont ils disposent a joué en faveur de l'alternance des cultures et la mise en jachère de certaines parcelles (des parcelles de plusieurs hectares) pour que les sols puissent reconstituer leurs ressources minérales et organiques. Un facteur très important pour un rendement meilleur.
En revanche, dans le nord, on peine à mettre en œuvre ces techniques de remédiation et du coup il se trouve à la traine, je dirai, des miracles agricoles des régions du Sud. Le simple manque d'eau provoque des pénuries, les sols sont surexploités, hyper-traités en engrais chimiques et puis n'oublions pas que la diversité des cultures se trouve dans le Nord. Certaines cultures sont extrêmement sensibles aux simples variations du milieu (climat, eau, sols,...etc.) et le climat humide favorisent l'apparition de champignons et bactéries destructrices des cultures. Le Nord est plus exposé à ces risques car tout près des ports d'où transitent ces espèces ravageuses. Là, je voudrai alerter les autorités des risques biologiques qui arrivent de l'étranger via nos importations, prenant l'exemple du Canada ou de la Nouvelle-Zélande où les douaniers n'autorisent aucun produit alimentaire dans les bagages des voyageurs, au risque de payer une amende salée à l'aéroport. C'est sur la politique de protection biologique que l'Algérie devrait se pencher car elle se trouve sur une autoroute maritime qui représente plus de 30% du trafic maritime mondial.
Par contre, je ne parlerai pas d'un "nouveau climat" mais de nouvelles tendances climatiques, tendances pour amortir le choc, soit-il, ou des signes de déséquilibre. Il est donc impératif d'adopter ces modes économiques dans le Nord et penser à mettre en valeur nos ressources en sol d'abord avant de fixer des objectifs de production. Car le sol et l'eau sont le moteur d'une bonne économie agricole.
Est-ce que le manque de pluie que connaît l'Algérie n'a pas affecté notre production agricole ?
Il est vrai que 2015 était l'année la plus chaude depuis le début des relevés météorologiques, 2016 est en train de suivre la même tendance. L'Algérie se trouve dans la catégorie des pays touchés par le "réchauffement climatique", soit une augmentation de la température saisonnière et une diminution des précipitations. Car, au contraire, d'autres régions du monde ont connu un hiver rude, l'exemple des contrées sibériennes et de New York avec -4C° en décembre et janvier derniers. L'agriculture est de loin l'activité la plus touchée voire menacée par la raréfaction des pluies car la nôtre repose essentiellement sur l'eau de pluie, du moment où les eaux de barrages ont été réservées en grande partie à l'Alimentation en Eau Potable, qui est une priorité dans de telles circonstances.
En termes de rendements agricoles, il y a lieu de parler de deux zones. La zone Nord du pays où les rendements ont sensiblement baissé, certains agriculteurs dans le Centre et l'Ouest ont commencé à parler de plan ORSEC et sécheresse et avaient perdu malheureusement toutes leurs récoltes suite à la sécheresse qui sévit dans ces plaines agricoles. Et la zone Sud où dans certaines régions (El Oued, Biskra, Adrar), et contre toute attente, sont en surproduction. Oued Souf exporte désormais ses pommes de terres en Europe et dans les monarchies du Golfe, tout comme les tomates d'Adrar qui cherchent désormais des circuits de commercialisation et de distribution dans les marchés européens et arabes.
Mais il ne faut pas nier le fait que l'agriculture se porte très mal ...
Je dirai qu'elle se portait meilleure auparavant, depuis l'époque romaine où le pays (qui n'existait pas comme tel) représentait le grenier en blé, céréale et huile d'olive de l'empire romain et jusqu'à l'ère moderne. Mais si elle va mal actuellement, il faudrait la replacer dans un contexte plus régional. L'Europe fait face à une grave crise agricole, quand la Russie a décidé d'arrêter l'importation des produits agricoles européens suite à la crise ukrainienne. Les producteurs européens cherchent de nouveaux marchés pour acheminer leur surplus de production. La France est régulièrement secouée par des opérations coup de poings de ses agriculteurs. Après trois mois de black-out les négociations n'ont pas l'air d'aboutir. Le Maroc est confronté à des sécheresses récurrentes des plus alarmantes, et ses nombreux barrages se trouvent régulièrement sous un seuil critique et puis ils sont vieux et l'envasement demeure un handicap majeur à la mobilisation des eaux de surface dans le royaume. Du coup, le Maroc fait face à l'une des pires crises agricoles de son histoire. L'Algérie n'est pas en reste mais les facteurs sont différents. La multiplication des politiques agricoles en un laps de temps si court a fait que l'agriculture a du mal à se remettre sur les rails du développement. Nous avons tout pour réussir pour reprendre ce vieux slogan mais en inculquant à nos éleveurs et agriculteurs les nouvelles valeurs environnementales de protection des ressources naturelles (eau, sol, faune et flore). Pour se faire il faudrait leur garantir un revenu régulier à travers la création d'une vraie banque dédiée qu'aux activités agricoles et de là ils pourraient s'ouvrir à des cycles de formation. On ne les inviterait pas à venir dans des salles de cours mais c'est à nous d'aller les chercher aux champs. L'apprentissage sur terrain est primordial dans un contexte économique car après tout leur souci reste purement économique du moment où la terre est leur source de vie. Ajoutons à cela, les dérèglements climatiques, les risques liés aux pesticides, la crise de l'eau...tout est à revoir dans nos plans et pratiques agricoles pour une meilleure transition.
Interview réalisée par Imène AMOKRANE
@ImeneAmokrane


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