Nous sommes en 1945, Karl Dunker, célèbre psychologue allemand, présente pour la première fois les résultats de son expérience intitulée « the candle problem » (le problème de la bougie). Cette expérience est un test rapide permettant de mesurer les capacités d'un individu à résoudre un problème. Il est très utilisé aujourd'hui dans une grande variété d'études en sciences du comportement. Si vous ne connaissez pas l'expérience, lisez ce qui suit et cherchez la solution avant de regarder la réponse. Tout commence avec une expérience ... Assis devant une table adossée à une cloison en bois, un scientifique entre dans la pièce, vous donne une bougie, quelques punaises et quelques allumettes ... et une seule consigne : « votre tâche consiste à fixer la bougie au mur de sorte à ce que la cire ne coule pas sur la table ». Bien souvent, les gens commencent par essayer de faire tenir la bougie contre le mur, mais en vain. Certains ont une grande idée : ils craquent une allumette, font fondre le côté de la bougie et essayent de la souder au mur. C'est une idée fantastique ... mais qui ne marche pas. Finalement, au bout de cinq à dix minutes, la plupart des gens trouvent la solution telle qu'elle est représentée ci-dessous. La solution typique du problème est de vider la boîte de punaises, de fixer la bougie dans cette dernière et d'utiliser des punaises pour fixer la boîte au tableau (voir l'image ci-dessus). La clé de la réussite est de dépasser la « rigidité fonctionnelle » qui consiste à aller au-delà des fonctions pour lesquelles un objet a été initialement conçu. Si on s'efforce de penser autrement, on se rend compte que la boite peut remplir une autre fonction ; celle d'un support pour la bougie. Que se passe-t-il maintenant quand on confronte une personne à un défi conceptuel comme celui-ci tout en lui promettant une récompense si elle trouve rapidement une solution ? C'est ce que tente de comprendre Sam Glucksberg, un psychologue de l'université de Princeton, en faisant un test, il y a une dizaine d'années, qui consiste à chronométrer le temps qu'il fallait à deux groupes de participants pour résoudre le problème de la bougie. Il avait annoncé au premier groupe qu'il les chronométrait pour établir des normes relatives au temps généralement nécessaire pour résoudre ce problème, tandis qu'aux membres du second groupe, il avait proposé une récompense. Les 25% les plus rapides recevraient 5 dollars chacun et le plus rapide de tous recevrait 20 dollars. Cette expérience illustre parfaitement l'effet des incitations financières et matérielles sur les performances d'un individu ... et les résultats sont assez stupéfiants ! La logique laisse croire que les membres du groupe récompensé ont réalisé les meilleures performances. Or, en réalité, il leur a fallu trois minutes et demi en moyenne de plus que l'autre groupe pour résoudre le problème. Oui trois minutes et demi de plus, en contradiction totale avec tous les principes sur lesquels nous avons toujours bâti notre réflexion ; je suis Algérien, j'ai toujours tendance à croire que les gratifications et les incitations financières amènent les gens à être plus performant en les aidant à se concentrer sur leurs objectifs et accélérer leur créativité. Selon toute logique, ce n'est donc pas censé se dérouler comme cela ! Et ce qui est encore plus intéressant avec cette expérience, c'est que ce n'est pas un artéfact ; ceci a été reproduit encore et encore depuis près de 40 ans dans des pays différents aux cultures différentes. Les conclusions de cette expérience sont assez surprenantes ; une incitation conçue pour clarifier la pensée et stimuler la créativité produit finalement le résultat inverse. Les récompenses, par leur nature même, réduisent notre champ de réflexion et restreignent notre vision. Elles sont utiles que lorsqu'il existe une façon simple et évidente de résoudre un problème ou quand la solution est algorithmique, car cela nous aide à rester concentrés et aller plus vite. Cependant, ces motivateurs ne sont pas adaptés du tout dans le cas de difficulté comme le problème de la bougie où il est question de faire preuve d'innovation et de concevoir une nouvelle façon de se servir d'un objet connu. Ceci est l'une des découvertes les plus robustes des sciences sociales et c'est aussi l'une des plus ignorées par la société et par les entreprises. La naissance d'un nouveau modèle Aujourd'hui, l'ensemble des études dans ce domaine montrent qu'il y a une divergence totale entre ce que la science sait et les grands principes qui régissent le comportement des individus dans une société. Les incitations financières, comme les sanctions en cas de non atteinte des objectifs, sont actuellement définis comme des motivateurs extrinsèques ; efficaces à court terme pour des tâches simples et algorithmiques, néfastes à long terme et pour des tâches heuristiques. Pensez maintenant à votre vraie vie, à vos études, à votre travail, à votre rôle dans la société. Est-ce que les problèmes que vous rencontrez ont un ensemble de règles claires et définies qu'il faut suivre à chaque fois pour les résoudre ? Est-ce que la solution est unique ? La réponse est NON ! Le contraire m'aurait fortement étonné. Les règles sont souvent mystifiantes. La solution, pour autant qu'il en existe une, est surprenante et pas du tout évidente. Chaque individu, dans toutes les sociétés du monde, est confronté à sa propre version du problème de la bougie tous les jours et dans tous les domaines. L'échec même serait d'essayer de faire face à ce genre de situation en s'appuyant sur des motivateurs extrinsèques tels que les incitations financières. C'est quand même étonnant de voir à quel point les choses autour desquelles nous avons construit nos modèles de pensée ne fonctionnent pas. Pire encore, ils sont en divergence totale avec ce que la science nous dit depuis des dizaines d'années. Ce qui est inquiétant dans notre société, c'est que l'ensemble des organisations prennent leurs décisions et définissent leurs plans d'action en se basant sur ces hypothèses dépassées, non vérifiées et enracinées plutôt dans le folklore que dans la science moderne. Sur le long terme, le prix à payer pour une telle stratégie sera sans aucun doute très cher. Si nous voulons reconstruire sur de nouvelles bases solides et saines, si nous voulons changer quelque chose vers le meilleur, nous devons adapter notre mode de pensée. Il ne s'agit plus de faire davantage de mauvaises choses ; attirer les gens avec des carottes plus douces et plus jolies ou de les menacer avec un bâton plus pointu. Non, la solution est de définir une approche entièrement nouvelle. Les récents travaux sur la motivation nous expliquent que cette nouvelle approche est plutôt basée sur la motivation intrinsèque. Autrement dit l'envie de faire des choses parce qu'elles importent, parce que nous les aimons, parce que c'est intéressant, parce que ça fait partie de quelque chose d'important. Ce nouveau système de fonctionnement repose sur trois éléments essentiels : l'autonomie, la maîtrise et la finalité. L'autonomie : le désir de diriger nos propres vies et d'être libre dans nos choix. La maîtrise : l'aspiration de se surpasser dans quelque chose qui compte. La finalité : l'envie de faire ce que nous faisons au service de quelque chose qui nous dépasse. Ce sont les briques d'un système de fonctionnement entièrement nouveau valorisant davantage l'individu et reposant sur ses centres d'intérêt, principes, sur la morale et les idéaux humains. La motivation intrinsèque nous pousse à nous lancer dans une activité parce qu'elle est intéressante, parce qu'elle représente un défi à relever ou parce qu'elle absorbe l'esprit. Elle est essentielle pour atteindre les hauts niveaux de créativité exigée par la réalité de la société d'aujourd'hui car le secret de la performance et de la satisfaction réside dans le besoin profondément humain de diriger sa propre vie, d'apprendre, de créer de nouvelles choses, de s'améliorer et aider les autres à s'améliorer. Ce n'est pas utopique Tout ceci montre que la science n'a fait que confirmer ce que nous savons tous déjà dans nos cœurs. Mais vous pouvez tout de même lire cet article et dire : « ça a l'air d'être une théorie élégante mais assez utopique. Dans la vraie vie, cela ne marchera jamais ! ». C'est une question légitime qui requiert une réponse basée sur des éléments factuels. Citons-en quelques exemples d'organisations fonctionnant selon les principes de la motivation intrinsèque. Aujourd'hui tout le monde connait Wikipédia, la célèbre encyclopédie libre et gratuite écrite de manière collaborative par des centaines de milliers de personnes se trouvant partout dans le monde. Des personnes qui ne se sont jamais rencontrés dans la vraie vie et qui écrivent des millions d'articles pour le plaisir. Ces personnes ne sont pas rémunérées et nul ne supervise directement la qualité de leur travail. Qu'est-ce qui a motivé cette armée de bénévoles à écrire pour Wikipédia plutôt que pour Microsoft qui, à une certaine époque, rémunérait gracieusement des auteurs et des universités pour rédiger des articles sur des milliers de sujets ? Encore plus étonnant, Microsoft a annoncé en Octobre 2009 l'échec total de son encyclopédie « MSN Encarta » et décide d'abandonner complètement le projet alors que Wikipédia à cet époque était d'ores et déjà l'encyclopédie la plus consultée au monde avec plus de 13 millions d'articles dans près de 260 langues huit ans seulement après son lancement. De nos jours, ce phénomène s'accentue de plus en plus notamment avec la montée en puissance de l'open source et le recul des entreprises traditionnelles sur le marché ; Linux VS Windows, Internet Explorer VS Chrome et Mozilla Firefox, ... Bref, autant de produits conçues par des armés de bénévoles non rémunérés et qui tiennent aujourd'hui la comparaison avec les produits de puissantes compagnies telles que Microsoft, Google et Apple. Autant d'exemples connus de tous qui prouvent que ce nouveau type de motivation n'est pas qu'une simple théorie mais un mode de management totalement en phase avec la nature humaine et reposant sur l'autonomie, la maitrise des choses et la finalité de ce que l'on fait. C'est également ces trois composantes de la motivation qui ont toujours amené, de manière naturelle et intuitive, plus de trois cent jeunes élèves-ingénieurs de l'Ecole Nationale Polytechnique membres du Club d'Activités Polyvalentes (CAP) à donner de leur précieux temps et à organiser des projets aussi grandioses les uns que les autres, des projets et des évènements qui résonnent aujourd'hui dans les amphis des universités et écoles algériennes. Véritable mine de talents, les membres du CAP ont toujours su, de manière intuitive, accrocher leur propre bougie sur le mur plus vite que les autres. Demain, nous assisterons à une titanesque bataille entre ces deux approches : motivateurs intrinsèques contre motivateurs extrinsèques. Autonomie, maîtrise et finalité contre carottes et bâtons. Et qui gagnera ? Si nous réparons cette divergence enracinée dans notre mode de pensée collectif et si nous faisons en sorte que nos actes ne soient plus motivés que par la carotte et le bâton mais par l'intérêt, la finalité et la satisfaction que l'on éprouve lorsqu'on accompli ces actes, alors la science nous dit que nous pourrons gagner la bataille ... et peut-être même changer le monde. Sadek AMROUCHE CAP(ENP)/Liberte-algerie.com @RiYoX A 23 ans et des brouettes, Sadek est ingénieur polytechnicien et étudiant à l'Ecole Centrale Paris. Passionné par la science et les nouvelles technologies, ce jeune rédacteur cultive un goût prononcé pour la complexité et le mystère.