Hamid Grine n'ose pas regarder dans la direction de cet homme d'affaires propriétaire de deux journaux, ni dans celle de cet éditeur qui publie deux quotidiens dans une même langue. Trois mai, Journée mondiale de la liberté de la presse. Une date, un symbole, mais surtout une halte observée dans le monde entier pour évaluer les avancées en matière de liberté de la presse et d'expression, d'en noter aussi les reculs et, plus souvent, dénoncer les menaces qui les guettent. Nous en sommes, malheureusement, à noter les reculs, à dénoncer des mesures liberticides suspendues comme des épées de Damoclès au-dessus des journalistes et entreprises de presse et que le ministre de la Communication a décidées, au mépris des lois, d'abattre pour précipiter la mort d'un journal que le gouvernement avait mis à l'agonie pour l'avoir très injustement sevré de la publicité institutionnelle. C'est, en effet, à la veille de la célébration de cette Journée mondiale de la liberté de la presse, instituée comme telle par l'Assemblée générale de l'ONU, le 20 décembre 1993, en référence à la déclaration adoptée le 3 mai 1991, par les participants au séminaire pour le développement d'une presse africaine en Afrique, à Windhoek, en Namibie, que le ministre de la Communication a intenté une action judiciaire en référé pour invalider une transaction commerciale entre des actionnaires du Groupe de presse El Khabar et la société Ness-Prod, filiale du Groupe Cevital. En cela, Hamid Grine est, de tous les ministres de la Communication qui se sont succédé sous le long règne du président Bouteflika, le premier à avoir poussé l'outrance jusqu'à instruire le procès d'un journal un 3 mai. Le journal de notre défunt confrère Omar Ourtilane, qui a défendu la liberté de la presse au sacrifice de sa vie, pendant que le ministre de la Communication, alors journaliste, a fait le choix, lui, de se mettre à l'abri de la menace terroriste islamiste et se réfugier au Maroc. D'ailleurs, si la presse a survécu à la barbarie terroriste des années 90, c'est parce que des journalistes ont résisté, et d'autres, près d'une centaine, ont payé de leur vie leur fidélité à l'idéal de la liberté d'expression. Une résistance que le président Bouteflika note, au demeurant, dans son message, à l'occasion du 3 mai : "(...) Par la suite, la corporation a été au premier rang de la résistance pour la survie de l'Algérie et le triomphe des lumières de l'islam et de l'honneur de la patrie sur la barbarie du terrorisme. C'est là, une occasion pour nous recueillir, une nouvelle fois, à la mémoire des martyrs du devoir national, hommes et femmes, victimes du terrorisme." Une résistance à laquelle Hamid Grine est étranger, puisqu'il a préféré un ailleurs qu'il a jugé plus clément. Mais faut-il lui reprocher cet exil volontaire quand l'exercice de son magistère de ministre donne à l'épingler plutôt plusieurs fois qu'une. À commencer par cette façon étrange de concevoir les arbitrages qu'il s'attribue, alors qu'ils ne sont plus, en vertu de la loi organique sur l'information promulguée en 2012, dans sa prérogative. Autoritarisme et partialité En annonçant, l'arrogance en prime, qu'il a saisi la justice pour annuler la cession d'actifs du Groupe El Khabar au profit de la société Ness-Prod, arguant que l'article 25 du code de l'information l'autorise, avant de s'aviser de la fragilité du motif invoqué et se rabattre en désespoir de cause sur l'article 17 du même code, le ministre de la Communication montre qu'il n'a point le souci des lois, mais tente une expédition punitive à l'encontre d'un projet éditorial qui ne lui plaît pas... enfin, qui ne lui plairait pas à présent qu'il est au gouvernement. Car, par le passé, il n'a pas trouvé d'inconvénients à écrire contre rémunération, comme pigiste, dans une publication à la ligne éditoriale similaire, sinon proche de celle d'El Khabar. Hamid Grine interprète faussement la loi sur l'information, c'est sûr. Du moment que l'achat d'une partie ou de la totalité d'actifs d'une entreprise de presse est prévu par la loi, Hamid Grine n'avait pas à s'y immiscer, y compris quand l'acquisition, lorsqu'elle est totale, implique une demande d'agrément par le nouveau propriétaire (art.17). Car, à moins de s'y substituer par le fait du prince, comme il vient de le faire, ce n'est pas au ministre de la Communication de réceptionner la demande d'agrément, de l'examiner et encore moins de délivrer le sésame. Ces attributions appartiennent à l'autorité de régulation de la presse écrite qui, faut-il le signaler, n'existe pas encore. Dans une récente sortie publique, Hamid Grine dit qu'il ne voyait pas l'utilité d'une telle autorité. Il y a celle qu'il s'attribue, sommes-nous tentés de conclure. Mais à supposer que le ministre est vraiment tatillon sur le respect de la loi et de l'éthique, pourquoi alors détourne-t-il le regard des infractions pourtant flagrantes — et qui lui sont signalées — qui impliquent des proches du pouvoir. Un homme d'affaires, qui n'est point à présenter, possède deux quotidiens, l'un en langue française et l'autre en langue arabe, édités par la même personne morale, ce que la nouvelle loi sur l'information interdit, conformément à l'article 25 qui stipule qu'"une même personne morale de droit algérien ne peut posséder, contrôler ou diriger qu'une seule publication périodique d'information générale de même périodicité éditée en Algérie". Hamid Grine n'a pas regardé dans cette direction. Il n'a pas également regardé du côté de cet autre éditeur qui publie chaque jour non pas un journal, mais deux, et de surcroît dans une même langue. Partial, Hamid Grine l'est. Preuve en est. S. A. I.