La ville de Larbaâ Nath Irathen a vécu, l'espace d'un jeudi ensoleillé, à l'heure du souvenir. Loin des paillettes et des flonflons officiels — que le pouvoir sait généreusement réserver exclusivement aux siens —, un hommage a été rendu au fils de l'Algérie, Abane Ramdane, natif de la région. initiative est de la Coordination des arch Ath Irathen, qui a su compenser la modestie des moyens par un enthousiasme et une organisation qui lui font honneur. La cérémonie a débuté à Azzouza, où Rédha Malek, Ali Haroun, le Commandant Azzedine, El Hachemi Cherif et Abdelhak Bererhi ont déposé une couronne de fleurs au pied d'une stèle sur laquelle sont inscrits les noms des martyrs du village. Celui de Abane en tête. Les jeunes avides d'en savoir plus sur l'histoire ont littéralement “harcelé” les invités de marque. Il est vrai qu'ils n'ont pas toujours eu à leur portée des témoins aussi prestigieux que Malek, Haroun, Azzedine... Le cortège des invités a ensuite emprunté le sentier abrupt qui conduit à la maison qui a vu naître Abane. Elle est située tout en haut du village. Fermée depuis longtemps, nous-a-t-on expliqué, elle est sortie de son mutisme le temps de ce pèlerinage plein d 'émotions. Entre-temps, le Dr Saïd Sadi, accompagné de son épouse, se joint aux autres invités de marque. Troisième halte, Larbaâ, où tout le monde s'est dirigé vers la statue de Abane qui trône au centre de la ville. Minute de silence ponctuée par les bras levés en signe de victoire. Abdenour Abdesslam, que nous accrochons hâtivement, n'y va pas par trente-six chemins. “Ce sont les baâthistes qui ont assassiné Abane”, tranche-t-il catégorique. Le programme de la matinée s'est achevé par une marche spontanée où des slogans appelant à la libération des détenus du mouvement citoyen ont été scandés par la foule que les organisateurs ont conviée par la suite à gagner la salle des sports. Le chanteur Rabah Ouferhat, membre actif de la Coordination des Ath Irathen, lira une déclaration dans laquelle il retrace succinctement le parcours de celui qu'on appelle fièrement “l'architecte de la Révolution”. Il expliquera aussi que les invités sont de deux ordres : les compagnons de combat et les intellectuels de la deuxième génération. Khalfa Mameri, auteur d'un livre, le premier qui a rompu le silence sur la mort de Abane, eut le privilège d'intervenir en premier. D'abord pour dire d'emblée que Abane avait rejoint la Révolution en 1955, au moment où “elle était au bord de l'effondrement avec l'arrestation de Didouche, Bitat et Ben Boulaïd”. “C'est encore, ajoute-t-il, Abane qui a créé une coordination entre les régions jusque-là isolées les unes des autres.” L'orateur parlera aussi du rôle fédérateur de Abane qui a su, selon lui, provoquer une synergie de l'ensemble des forces patriotiques. Khalfa Mameri dira également, à propos de la non-participation de Ben Bella au Congrès de La Soummam, que c'était un choix de sa part. “Il n'a pas voulu y participer. C'est de sa faute.” Applaudissements. Rédha Malek débutera son intervention en exprimant sa solidarité avec les jeunes du mouvement citoyen. “Nous demandons aux autorités de prendre leurs responsabilités et de trouver une solution à la crise de Kabylie.” Parlant ensuite de Abane Ramdane, il mettra en évidence l'immense personnage qu'il était, son rôle d'organisateur. “On l'a dit immodeste. En fait, il avait une hauteur de vue. Sa propension à la franchise a indisposé certains membres de la direction de la Révolution.” Au sujet de la plate-forme de La Soummam, l'ancien Premier ministre soutiendra que c'est elle qui a tracé le contour de la future Algérie. Rédha Malek s'étalera aussi sur toutes les organisations qui doivent leur création à Abane, telles que l'Ugta, l'Uca, l'hymne national, le quotidien El Moudjahid. “C'est lui qui a réussi à rallier la communauté mozabite. Il a également donné des assurances aux juifs d'Algérie.” L'orateur achèvera son exposé en mettant en relief la complémentarité qu'il y avait entre Abane Ramdane et Ben M'hidi. Pour sa part, Ali Haroun “laissera parler son cœur” pour évoquer l'homme qui “se contentait d'un sandwich comme tout le monde”, alors qu'il était un chef de la Révolution. Il soulignera en outre la “portée universelle de la plate-forme de La Soummam”. Estimant que Abane Ramdane appartient à toute l'Algérie, il a émis le souhait de voir le deuxième colloque se tenir dans la capitale algérienne. Le commandant Azzedine, dont l'intervention a enflammé la salle, n'a pas tari d'éloges sur l'ancien président du CEE. Il a, par ailleurs, fustigé les tenants du pouvoir actuel, qualifiés d'“usurpateurs”. L'auteur de On nous appelait fellagas a demandé un droit d'inventaire de tout ce qui s'est fait depuis 1963 à ce jour. De son côté, El Hachemi Cherif, coordinateur du MDS, mettra en garde le pouvoir contre la mort qui menace les détenus du mouvement citoyen. Revenant au sujet, il affirme que les attaques contre Abane sont à mettre en rapport avec l'agitation autour de la libération de Ali Benhadj. Pour lui, en attaquant Abane, on attaque aussi son projet d'une Algérie républicaine. Pour sa part, le Dr Saïd Sadi a commencé son intervention en paraphrasant Ben M'hidi : “Mettez l'histoire dans la rue, le peuple s'en saisira.” Parlant des attaques de Ben Bella contre Abane, il dira encore : “Ben Bella a exercé deux fonctions dans sa vie, celle d'adjudant de l'armée française et celle de Président. S'il a protégé la première, nous lui demandons de respecter la seconde.” Le président du RCD dira aussi que “s'il n'y avait pas le combat de Abane, la génération qui est la sienne n'aurait pas pu faire le raccord avec celle du mouvement citoyen”. L'orateur s'étalera aussi sur les qualités de l'homme pour dire qu'il a “la grandeur de saint Augustin, le courage de la Kahena et la connaissance d'Ibn Khaldoun”. N. S.