La vieille ville de Mila offre au visiteur un raccourci des trois grandes civilisations qui sont passées par là. Dans un espace de quelques hectares, on retrouve des vestiges des époques numide, byzantine et musulmane. La partie protégée par le rempart byzantin, appelée la caserne, par allusion à la fonction de garnison militaire qu'elle a prise pendant l'occupation française, renferme, en effet, des trésors archéologiques inestimables de ces trois grandes ères historiques. La statue de Milev, princesse numide, la muraille byzantine et la mosquée omeyyade Sidi Ghanem, pour ne citer que ces grands monuments, sont là, dans la proximité les unes des autres, offrant aux touristes un voyage en raccourci à travers les âges. Lors de notre récent passage sur les lieux, en compagnie d'un groupe d'étudiants algérois du département d'archéologie, nous sommes restés aphones devant la magnificence presqu'irréelle du site, à tel point que nous n'avons pas pu résister à la tentation de fouiner dans le passé de ces "bijoux" pour en partager la substance avec nos lecteurs. La mosquée Sidi Ghanem : Un repère dans la mémoire collective La mosquée Sidi Ghanem, située dans la vieille ville, constitue un repère phare dans la mémoire collective des Milis. Avec la statue grandeur nature de la princesse Milev, la fontaine antique d'Aïn Labled et la muraille byzantine qui ceinture la cité antique, la bâtisse religieuse médiévale incarne, dans les représentations des riverains, ce passé lumineux où Mila rayonnait sur de larges territoires de la Numidie. En plus de sa fonction de base de lieu de culte, elle était le sommet des institutions sociales, administratives et politiques au Moyen-Âge. Elle était et demeure encore le symbole de l'islam constructif, l'islam de la science, de la tolérance, de la concertation en politique et du pardon. C'est dans sa salle de prière, encore bien identifiable aujourd'hui malgré l'état physique de l'enceinte, que les habitants de la région de l'époque avait appris les préceptes de leur religion dès l'islamisation de la ville en 679, et découvert un nouveau mode de gouvernance, basé sur la justice et la fraternité, complètement différent de celui byzantin qui était de mise jusque-là. Edifiée par le compagnon du Prophète (QSSSL) Abu El Mouhadjer Dinar en 679, elle est considérée comme la première mosquée de tout le Maghreb. Ce qui faisait et fait encore d'elle une source de fierté pour tous les habitants de la région pour ce qu'elle leur inspire comme sentiment d'appartenance et valeurs spirituelles. Mais le fait qu'elle soit la première mosquée dans le Maghreb médiéval n'est pas la seule chose qui la caractérise des autres bâtiments religieux de même rang. Beaucoup d'autres secrets d'ordre historique, politique et architectural la singularisent. Mais, faute probablement d'une présentation correcte, ou du moins suffisante, de l'édifice par la direction de tutelle, beaucoup de ces secrets demeurent inconnus en dehors des cercles restreints des spécialistes. Si on sait, par exemple, que la mosquée Sidi Ghanem avait été construite sur les reliques d'une église catholique et non moins siège de l'évêché de Saint Optat (360 avant Jésus Christ), beaucoup de riverains ignorent, en revanche, que l'édifice, et malgré la connaissance de ses bâtisseurs en matière d'orientation spatiale, avait fonctionné, dans ses débuts, avec un mihrab dirigé vers le Sud, au lieu de l'Orient comme le veut le texte coranique et que cette anomalie ne fut corrigée que très tardivement. Sur les causes de cette orientation spatiale erronée, le guide touristique chargé de la mosquée, M. Mohammed Zouaghi, nous dira : "La mosquée avait été construite sous la dynastie des Omeyyades. Ceux-ci avaient leur capitale à Damas et orientaient toutes leurs constructions syriennes vers La Mecque qui se trouve géographiquement au sud du Cham. Pendant la construction de la mosquée de Sidi Ghanem, ils n'avaient pas changé de reflexes, croyant que la kibla, représentée par la Kaâba, était toujours dans le sud par rapport à Mila". On saura également que l'édifice fut construit 48 ans seulement après le décès du Prophète (QSSSL), que sa salle de prière pouvait contenir jusqu'à un millier de fidèles, qu'il avait quatre portes, dont l'une, principale, était plus grande que les trois autres et qu'il avait été transformé en église, puis en caserne militaire entre 1871 et 1962 sous l'occupation française. Mais là ne sont pas tous les secrets que nous détenons de notre généreux guide. Si nous en avons tu une multitude d'autres aussi intéressants que merveilleux, comme celui de ces pierres qui portent des inscriptions en alphabet latin et des précieux objets mis au jour par des fouilles archéologiques récentes entre autres, c'est par souci de laisser le plaisir de les découvrir aux visiteurs qui se rendraient sur les lieux en ce mois du patrimoine où le sanctuaire a été ouvert au public. Signalons qu'avant de devenir mosquée, la bâtisse avait été l'un des grands sièges du catholicisme en Afrique du Nord, où officiait l'évêque Saint Optat de Milève. L'édifice catholique avait, soixante ans seulement avant la chute de l'Empire romain d'Occident en 476, abrité un concile général, c'est-à-dire une assemblée d'évêques de toutes les églises tant catholiques qu'orthodoxe, concile présidé par saint-Augustin (354-430) qui était l'un des quatre pères de l'église occidentale dans l'Antiquité. La statue de Milev : une princesse immortalisée dans du marbre blanc La géante statue de la princesse numide se dresse au beau milieu du forum romain, face à la porte principale de la mosquée. Montée sur un massif socle carré, le monument, grandeur nature, est haut de 1,90 mètre selon Amar Nouara, archéologue. Faite entièrement en marbre blanc, l'imposante œuvre d'art est unique en son genre au monde. Elle a été réalisée à l'époque de Juba 1er, le dernier roi numide avant la conquête byzantine, soit un siècle environ avant Jésus Christ. Belle et de grande taille, la princesse Milev était le symbole de la beauté, de la procréation et de l'abondance pour les Numides. Selon Nouara, la statue avait été jetée au rebut par l'armée française quand, en 1871, cette partie de la vieille ville avait été transformée en caserne. Elle ne sera retrouvée et rétablie sur son socle au milieu de l'esplanade romaine qu'en 1968. Kamel BOUABDELLAH