Spécialiste en économie bien connu pour avoir réussi, jadis, de hautes études à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris 1 et enseigné durant plusieurs décennies à l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou dont il fut l'un des pionniers depuis son ouverture en 1979, Mohamed Dahmani est connu en Kabylie pour sa passion extrême pour l'artisanat traditionnel et surtout la poterie berbère avec toute sa diversité régionale, qu'elle vienne du Djurdjura, de la Soummam, des Bibans, des Babors comme des Aurès ou du fin fond de l'Algérie profonde. Même s'il a été fasciné par la brocante en tout genre dès son jeune âge, de la belle époque où il était étudiant en France ou encore du temps où il enseignait aussi à Dakar ou à Madagascar, il n'en demeure pas moins que Mohamed Dahmani s'est attaché à la poterie kabyle dès sa première enfance à Boghni, sa ville natale, au pied de Tala Guilef. "Dès mon jeune âge, j'étais réellement fasciné par une toute petite collection de poterie kabyle que tenait jalousement ma regrettée mère. Après avoir obtenu mon bac en 1963 au lycée Okba et passé une année pénible à l'université d'Alger, j'étais heureux de poursuivre mes études universitaires à Paris 1, et c'est au Trocadéro que j'ai eu la belle surprise de découvrir et d'apprécier davantage la poterie kabyle dans toute sa splendeur, notamment les bougeoirs qui attiraient la grande foule, ce qui m'avait alors ouvert les yeux sur la valeur de notre artisanat local vu de l'étranger", se souvient Mohamed Dahmani avec une grosse lueur de fierté. Et c'est en regagnant le bercail pour entamer ses premiers pas de "prof d'université" à Tizi Ouzou que notre interlocuteur se passionne pour l'enseignement mais aussi pour la brocante et la collection d'objets artisanaux et archéologiques. "Dès les années 80, je pris contact avec les potières des Ouadhias pour amorcer les premiers embryons d'une collection qui allait prendre des proportions considérables au fil des années où je prenais beaucoup de plaisir et de passion à sacrifier pratiquement toutes mes vacances, hiver comme été, pour sillonner toute la Kabylie et accumuler des milliers de pièces de collection en tout genre : de la poterie en argile jusqu'aux objets en fer forgé ou en bois sculpté de plusieurs wilayas berbérophones", dira notre collectionneur. Des jarres, des bougeoirs, des ikoufan, des cruches, des cannes en bois, des lampes à huile et des quinquets à pétrole de la belle époque, de vieux ustensiles de cuisine mais aussi des meules, des plats en argile, le tout orné de jolis motifs qui font la beauté et la spécificité de l'artisanat berbère. "J'avoue que mes étudiants de l'université de Tizi Ouzou m'ont beaucoup aidé et surtout guidé dans mon obstination à fouiner dans les vieilles maisons et les douars les plus reculés de Kabylie pour rencontrer beaucoup de gens, notamment des braves femmes qui m'ont toujours offert gracieusement de véritables trésors artisanaux même si, de temps à autre, j'usais de beaucoup de tact et de doigté pour offrir quelques menus billets à de vieilles femmes qui étaient réellement dans le besoin", dira M. Dahmani, qui espère de tout cœur qu'une telle collection faite de "40 000 pièces d'une valeur inestimable" fasse l'objet d'une conservation et d'une valorisation de la part des autorités locales et des responsables de la culture et de l'artisanat local pour préserver un patrimoine qui risque de se perdre au fil des années. De nombreux walis, P/APW, P/APC qui ont défilé ces dernières années à Tizi Ouzou, voire même des ministres, ont été fascinés par une telle collection et ont promis à M. Dahmani une prise en charge effective de ce véritable patrimoine ancestral, mais en vain. "J'ai des amis collectionneurs, nous sommes prêts à créer une fondation pour offrir tous ces trésors au patrimoine public, à condition d'avoir un espace digne de ce nom et surtout un droit de regard sur l'inventaire périodique de tous ces biens pour servir tel qu'il se doit la collectivité et la communauté universitaire", dira le collectionneur de Tizi Ouzou, qui a même déterré à Mâatkas une vieille "locomobile à vapeur" du 19e siècle qui trône fièrement dans sa "caverne d'Ali Baba". Sans oublier une collection incroyable de 70 000 clichés de maisons traditionnelles kabyles amassées en l'espace d'un quart de siècle de fouine et de passion. Il faut le faire ! Mohamed HAOUCHINE