Plongeant ses racines dans l'histoire, l'artisanat avait surtout une valeur d'usage. Plats, jarres, pots et bougeoirs faisaient partie du décor quotidien. On s'en servait pour cuisiner, manger, ramener l'eau de la fontaine et les jours de fête on sortait les meilleures pièces. Pour avoir ou garder une eau fraîche dans des foyers qui ne connaissaient pas encore le réfrigérateur, rien de mieux qu'une « Tassabalt » qui trônait dans une quelconque encoignure. Mais petit à petit, les bidons et les ustensiles en inox ou en plastique, à la portée des petites bourses et ne nécessitant aucun effort ont envahi les foyers. La modernisation fut une sorte de tsunami qui a tout emporté. Les répliques de Nana et Khalti, les deux potières immortalisées par Mouloud Feraoun dans « Le fils du pauvre » ont presque cessé d'exister. « Les jeunes filles sont plus expertes en maquillage, dans la manipulation des gadgets de la téléphonie mobile » se désole un visiteur. Un vannier raconte, avec une pointe d'amertume, comment une petite à qui il proposa un jour un petit panier en oseille prit la poudre d'escampette comme si, explique-t-il, « il aurait été honteux de la surprendre avec un tel objet ». On peut, toutefois, rencontrer beaucoup de femmes de tout âge, déambulant entre les stands. Elles sont rares celles qui, comme cette étudiante en psychologie avoue sa passion pour l'argile et aider sa mère dans certaines étapes de fabrication. Une autre est penchée sur une pièce reproduisant attentivement les motifs de décoration devant des enfants invités dans un atelier. Stands variés La fête de la poterie, qui se déroule depuis samedi dernier, a vu le jour au début des années 90. Elle a connu de nombreuses perturbations avant de devenir plus régulière. Dans un premier temps, les organisateurs avaient pour ambition de stopper une lente et inexorable dégradation de ce patrimoine. Au-delà de sa valeur symbolique de référent identitaire, il se révèle, désormais, comme une source de revenu pour de nombreuses familles. Ammar Touati, qui a ouvert un atelier au village de Zerrouda, nous confie « vivre aisément de son travail ». « Les émigrés, surtout, achètent nos produits lors des fêtes de mariage. Lors de la cérémonie de henné, nul ne peut se passer des plats ou des bougeoirs qui donnent un caractère authentique aux mariages », ajoute-t-il en la présence de sa mère, une vénérable dame qui a toujours fabriqué des ustensiles. Devant les visiteurs, elle ne cesse de vanter la qualité d'une eau préservée dans un broc en terre qui porte divers noms en kabyle. Les deux aspects (économique et culturel) seront d'ailleurs au centre des interventions de nombreux universitaires et chercheurs invités pour animer des conférences. Ainsi, aujourd'hui, le professeur Dahmani, de l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, interviendra autour du thème « pertes des identités tribales et modernité ». Mme Salima Salah Mansour de la même université abordera « la valorisation des ressources territoriales par les savoir-faire locaux ». Demain, c'est M. Antiri, directeur du palais des Rais d'Alger qui évoquera « savoir- faire artisanal et identité » avant de céder sa place à M. Bourdouz, chercheur au CNRPH, qui s'intéressera « à l'habitat dans le Dahra entre tradition et modernisme ». Au CEM Ounar-Mohamed où se tient, jusqu'au 30 juillet, un festival culturel, on peut visiter une trentaine de stands qui laissent voir une production variée. Là, une des rares vieilles femmes encore en activité « s'enorgueillit de la cuisson de ses pièces sur un feu de bois ». Un peu plus loin, on peut admirer ou acheter des pièces fabriquées en toub qui supplante partout le bois car ce dernier n'assure pas une cuisson à plus de 500 degrés. Une sortie vers Maâtkas, myriade de villages accolés les uns aux autres, permet de visiter beaucoup de stands ou d'autres expressions culturelles : (broderie, tapisserie, vannerie, bijouterie...) sont mises en valeur. Pour se reposer, on peut s'allonger sous une kheima dont les propriétaires venus de Touggourt servent un thé succulent. On peut même s'arrêter devant le dernier forgeron de la région venu avec son attirail. Il recrée tout un ensemble d'instruments liés au monde agricole et fait découvrir des mots de la langue amazigh disparus avec la déperdition des univers qui leur ont donné naissance et sens. Ils sont désormais étrangers et inconnus auprès des nouvelles générations qui trouvent l'occasion de se retremper dans une culture authentique. Les artisans et les organisateurs, eux, se félicitent de la future implantation d'un musée. La municipalité a dégagé une parcelle de terrain qui abritera ses locaux.