Dans cet entretien qu'il accorde à Liberté, le politologue Antoine Basbous interprète les raisons de l'attentat qui a ciblé, avant-hier, l'ex-Premier ministre libanais, Rafik Hariri, tout en montrant du doigt le régime de Bachar Al-Assad. Liberté : Quelle lecture faites-vous de l'assassinat de Rafik Hariri ? Antoine Basbous : Je pense que les Syriens n'ont pas supporté que des dirigeants musulmans, dont les plus illustres sont Hariri et Joumblatt, appellent de façon solennelle au retrait de l'armée syrienne du Liban et se rallient à la résolution 1559 qui ordonne à l'armée syrienne d'évacuer ce pays qu'elle occupe depuis une trentaine d'années. Les Syriens supportent mal toute opposition et tout processus qui conduiront à leur éviction de leur “colonie libanaise” qui est, pour eux, une source d'enrichissement, de rayonnement régional et une carte majeure dans leur politique. De plus, Hariri était un homme capable d'appeler au téléphone la moitié des dirigeants de la planète : de George Bush à Jacques Chirac, en passant par Schröder, le roi et le prince héritier d'Arabie, par Moubarak ou encore par Bouteflika et Mohammed VI. Donc, il fallait éliminer cette carte majeure ; laquelle, un jour, pourrait contribuer à la résurrection du Liban. L'unité du Liban sera-t-elle remise en cause, et quel sera l'avenir du processus de paix dans la région ? L'assassinat de Rafik Hariri ne remet pas en cause l'unité du Liban. Dans ce pays, un processus patriotique est bien ancré. Dans l'opposition libanaise, vous avez des chrétiens, des musulmans, la droite, la gauche : c'est une représentation de l'unité nationale qui a réclamé le retrait syrien ; ce qui a énormément énervé Damas. Nul doute que ce crime ne remet pas en cause l'unité du Liban. La Syrie veut présenter les choses de sorte à faire d'elle-même un garant de l'unité et de la stabilité libanaises. Or, la Syrie joue le rôle du “pompier-pyromane” qui met le feu et prétend vouloir l'éteindre. La Syrie, qui se trouve dans l'“axe du mal” des états-Unis, risque-t-elle des représailles de la part de Washington ? La Syrie se trouve, effectivement, dans l'axe des pays voyous, non seulement pour les états-Unis, mais également pour la communauté internationale. Elle n'a plus d'autres alliés que l'Iran, le Hezbollah et Zarqaoui, dont l'organisation en Irak respire à travers son poumon syrien. Damas n'est pas soutenu par les Arabes, il sert de base arrière à Zarqaoui et aux baassistes proches de Saddam à travers leur financement et l'infiltration via les frontières. La Syrie est mise en cause dans son soutien au Hezbollah et aux organisations palestiniennes radicales, le Hamas et le Jihad, qui ont leur base à Damas… Et puis, elle refuse de se retirer du Liban, ce qui est une violation de la résolution 1559. Je pense que la communauté internationale va aller de l'avant en imposant de nouvelles mesures pour forcer la Syrie à reculer. Une enquête internationale a été demandée par Paris. Qui aura la lourde charge de la mener ? Permettra-t-elle de faire la lumière sur les véritables commanditaires ? L'enquête internationale demandée par Paris montre à quel point Paris, l'Europe et les états-Unis ne font aucune confiance à la justice libanaise, qui est entre les mains des services de renseignements syriens et libanais. Le symbole de la corruption de la justice au Liban est un magistrat qui est, aujourd'hui, ministre de la Justice. Et dans ce contexte, l'enquête internationale demandée constitue un désaveu pour Beyrouth et Damas. La Syrie avait fait assassiner plusieurs autres dirigeants libanais. Personne ne fait confiance à la justice libanaise qui n'est pas celle d'un état de droit et qui se trouve entre les mains de la Syrie, soumise aux interférences des services de renseignements libanais et syriens. N. A.