Le livre de l'historien et journaliste franco-américain Ted Morgan, de son vrai nom Sanche de Gramont, soulève l'ire de Yacef Saâdi et de sa famille. Sorti en 2006 aux Etats-Unis, l'ouvrage intitulé Ma Bataille d'Alger, qui vient d'être traduit pour la première fois en français, accuse l'ancien chef de la Zone autonome d'Alger (ZAA), d'avoir trahi Ali la Pointe et son groupe : Hassiba Ben Bouali, Petit Omar et Mahmoud Bouhamidi. Hier, le fils et le neveu (le frère du petit Omar) de Yacef Saâdi ont annoncé à Liberté que la famille du héros de la Bataille d'Alger fera d'"importantes révélations", aujourd'hui, lors de la conférence de presse, qui se tiendra au domicile familial, à Hydra (Alger). "Des dizaines de documents d'archives françaises", récupérées à Paris, en France, seront divulguées, portant notamment sur le démantèlement de la ZAA suite à la "trahison" d'un certain Guendriche Hacène, alias Judas-Zerrouk-Safi, et sa collaboration avec les capitaines Paul-Alain Léger et Raymond Chabanes, ainsi que sur des documents relatifs à la "bleuite", signés par le colonel Yves Godard. Mais d'autres éléments seront également exposés, incriminant Guendriche Hacène et confirmant à la fois les déclarations de Yacef Saâdi (La Bataille d'Alger, 1997) et celles du capitaine Léger (Au carrefour de la guerre, 1989). Notons au passage que Liberté est en possession d'un courrier datant d'octobre 1957 entre Ali la Pointe (Ali Amara) et Safi (Guendriche Hacène) : il s'agit des copies de 4 lettres tirées des archives françaises, dont 2 (déchiffrables) d'Ali la Pointe, écrites par Hassiba Ben Bouali, et 2 (illisibles) de Safi. Il est question d'échanges autour du "plan pour l'organisation" tel que demandé par Safi, de "contact" avec la Wilaya III et de propositions sur la "réorganisation" de la ZAA, ainsi que du "transport d'armes", de certaines "instructions" et "coordinations" d'actions "aussi bien politiques que militaires". Zerrouk-Hacene Guendriche bascule chez l'ennemi Dans son ouvrage La Bataille d'Alger, plus particulièrement dans le chapitre destiné à "la trahison", Yacef Saâdi révèle avoir rencontré, pour la première fois, en 1944, Guendriche Hacène. "C'est lui qui, quelques années plus tard, allait nous perdre et transformer Alger en un gigantesque navire en perdition", écrit-il. Plus loin, il indique qu'au mois d'août 1956, lui et Ali la Pointe ont rencontré "par le plus pur des hasards", Hacène Guendriche et son ami Hamoud Hader, qui se trouve être son ancien "chef" à l'Organisation secrète (OS). "La semaine suivante, une autre rencontre nous réunit, cette fois, chez Guendriche. Nous eûmes une longue discussion, qui déboucha sur un engagement ferme de leur part de s'impliquer immédiatement avec nous. J'en fus ravi, car justement nous manquions de cadres à la Zone III, Alger-Ouest, dont le responsable avait été arrêté. Hamoud Hader hérita donc du poste et eut comme adjoint Guendriche qui, sans doute impatient de faire la mue, décida de troquer le sobriquet de Judas contre celui de Zerrouk", poursuit Yacef Saâdi. Ce dernier relève que le 6 août 1957 Zerrouk est arrêté. "Les parachutistes profitent de ce coup de filet pour arrêter par la même occasion Saïd Bakel trouvé dans le même refuge", précise-t-il, informant, cependant, que Bakel s'évade le 10 septembre et décèdera "aux environs d'un bourg de la Mitidja, appelé Chebli, lors d'un accrochage avec l'armée française", sans avoir pu informer les responsables de la Zone autonome de l'arrestation de Zerrouk. Yacef Saâdi concède qu'à ce moment-là, "nous ignorions que le plan conçu par Zerrouk et ses manipulants, pour nous perdre, était déjà en route". Pourtant, énonce-t-il, Zerrouk, une fois arrêté, va "se voir délier la langue par des ‘spécialistes' que l'on sait' et ‘se mettre à table', avouant appartenir aux réseaux, ‘à la Zone III' pour être précis". Plus encore, Zerrouk aurait prêté "allégeance" aux services de l'armée coloniale : "Judas-Zerrouk-Hacene Guendriche bascule donc chez l'ennemi". Pour Yacef Saâdi, Zerrouk, "pris en charge par le capitaine Chabannes, son directeur de conscience, (...) inaugure sa carrière de lâche absolu, par l'envoi d'une lettre à Ramel, son responsable direct". Une lettre écrite "sous la dictée de Chabannes" et dans laquelle il demande à Ramel de "remplacer les agents de liaisons habituels par des nouveaux". La "bleuite" à la rescousse Attribuant la proposition à un regain de vigilance, Ramel accepte les termes de la lettre, sans douter un instant que Zerrouk chercherait à "baliser le parcours à l'aide de ses propres agents, puisés sûrement dans le milieu interlope de la ‘bleuite'", et sans soupçonner ce dernier de vouloir l'"offrir à Massu en gage de fidélité". Le message, transmis le soir même au chef de la ZAA, ne suscite pas de méfiance, surtout que Zerrouk affirmait "avoir eu la chance de franchir les mailles du filet, une première fois, dans le quartier où il s'était réfugié pour en gagner un autre" et "qu'à présent il était à l'abri". Quant à Ramel, il continuait à correspondre avec son subordonné au moyen de messages, croyant, lui aussi, que Zerrouk était toujours en liberté. Résultat : le "système de cloisonnement" mis en place par Ramel pour prévenir que d'éventuelles infiltrations se seraient effondrées le 26 août 1957, d'après l'auteur de La Bataille d'Alger, entraînant avec la mort de Ramel et de trois autres personnes, dont Debbih Cherif et amplifiant "l'agit-prop" du 5e bureau français, qui aurait alors lancé le mot d'ordre sur "les ‘bleus de chauffe' (...) qui ont localisé le refuge de Ramel" et dévoilé certains noms, comme "Alilou, Baâbouche et d'autres, tous rescapés de la grève", qui travailleraient sous les ordres du capitaine parachutiste Léger. Selon Yacef Saâdi, "cette grossière diversion visait à orienter les esprits, concernant la mort de Ramel, ailleurs pour protéger le travail de sape de Hacène Guendriche-Judas-Zerrouk, dont nous continuerons à ignorer l'existence jusqu'à la fin de la seconde bataille d'Alger". C'est ainsi que Zerrouk fut nommé à la place de Ramel "pour coordonner les activités des trois zones de combat". Mais, le nouveau capitaine responsable militaire pour les trois zones (Zerrouk), se surnommant désormais Safi, aurait envoyé une lettre au chef de la ZAA, dans laquelle il réaffirmait ses positions "révolutionnaires" et il s'excusait pour son silence "prolongé", en raison de la situation sécuritaire. Yacef Saâdi, enfonçant davantage Safi, soutient que ce dernier, travaillant sous les ordres de "son manipulant", se serait proposé à venger la mort de Ramel et de Debbih Cherif et aurait accusé Alilou d'être "le principal instigateur" de leurs malheurs. "Il va sans dire que tout ce que me racontait Guendriche n'était que tissu de contrevérités, une manœuvre destinée à gagner ma confiance, à me circonvenir pour me localiser et ensuite faire intervenir ses commanditaires, afin de me capturer", signale-t-il. En finir avec "l'étiquette" ! Non sans insister sur le fait que Guendriche-Safi allait s'associer à "la confection d'une monstrueuse toile d'araignée", dans le but de l'"éliminer". En pistant ses "agents" jusqu'à son refuge, en maintenant ses absences sous le prétexte sécuritaire et en multipliant les messages. C'est ainsi que le 24 septembre 1957, vers 2 heures du matin, "environ 10 000 hommes" des forces armées coloniales investirent la Haute-Casbah, bouclant "rues, ruelles, impasses, terrasses". Alors que Yacef Saâdi se trouvait au 3 rue Caton, avec Fatiha Bouhired, la "propriétaire" du refuge, et Zohra Drif. Ali la Pointe et ses 3 compagnons, se trouvaient au numéro 4 de la même rue, c'est-à-dire en face, chez les Guemati. "Je souffrais depuis 5 jours d'une grippe asiatique, doublée d'une angine qui m'avait rendu atone", raconte Yacef Saâdi, rappelant que ce jour-là, il entendit les voix des "traîtres" qui guidaient les militaires français : celles de Guendriche et de Hadj Smaïn. "Ce ne fut que lorsque Godard m'interpella à haute voix pour m'annoncer qu'il n'ignorait pas que j'étais malade que j'ai compris", explique-t-il. Pour éviter des désagréments à Fatiha Bouhired et aux "familles des locataires des maisons avoisinantes", et afin de détourner l'attention sur "la maison d'en face, celle de la famille Guemati" et prévenir contre une "déflagration du TNT", le chef de la ZAA décida de se rendre, en essayant de gagner du temps — en lançant une grenade et en chargeant — sa mitraillette, pour permettre à Zohra Drif de détruire les documents compromettants. D'ailleurs, il écrit à ce propos qu'il a décidé de "parlementer" avec les militaires, "pour épargner la vie d'innocents en grand nombre, et permettre à Ali la Pointe de relancer la ZAA". Plus de 5 décennies après l'Indépendance, le livre de Ted Morgan relance à nouveau l'étiquette faite à Yacef Saâdi, celle d'avoir "vendu" Ali la Pointe et son groupe. "Aujourd'hui, mise à part l'affaire Ted Morgan, la famille fera une mise au point avec des preuves à l'appui, pour en finir avec cette étiquette. Quiconque reviendra sur ça aura affaire à toute la famille de Yacef Saâdi", nous a confié son fils. Pour ce dernier, "les gens doivent comprendre qu'Ali la Pointe et son groupe ont changé de lieu, 3 jours après l'arrestation de mon père". "Comment Yacef Saâdi pouvait-il connaître la nouvelle adresse, alors qu'il a été arrêté et tenu au secret", s'est-il demandé, observant que "le seul qui était en contact avec Ali la Pointe, à l'époque, c'était Zerrouk-Safi". Hafida Ameyar