L'engagement de l'Etat à veiller à la conservation des caractéristiques écologiques de cette zone humide n'arrive toujours pas à se concrétiser sur le terrain. S'étendant sur une superficie de 9118 km2, le bassin de la Soummam qui s'étale sur le territoire de quatre wilayas (Béjaïa, Sétif, Bordj Bou-Arréridj et Bouira) est en proie à toutes formes de pollution, au point de devenir un véritable dépotoir à ciel ouvert. Considérée comme l'un des plus grands cours d'eau d'Algérie, la Soummam constitue un réseau hydrographique dense et bien fourni, et s'est vu classer, en 2011, comme "zone humide d'importance internationale" dans la liste Ramsar, une publication officielle de la Convention sur les zones humides adoptée le 0-2 février 1971 à Ramsar, en Iran, et ratifiée par l'Algérie le 11 décembre 1982. Deux années plus tard, la vallée de la Soummam a été reconnue officiellement comme zone humide protégée par un arrêté du wali de Béjaïa. Néanmoins, l'engagement de l'Etat à veiller à la conservation des caractéristiques écologiques de cette zone humide n'arrive toujours pas à se concrétiser sur le terrain. Si l'arrêté du wali stipule que "le rejet des eaux usées et de déchets ménagers et industriels sans traitement préalable est strictement interdit" et que "l'exploitation de ses ressources naturelles est soumise à autorisation des autorités compétentes", rien n'a été fait pour sa mise en application. La vallée de l'oued Soummam couvre une superficie de 950 km2 (95 000 ha), alors que la surface du site à classer Ramsar est de 12 453 ha. Le bassin de la Soummam comprend trois barrages : Tilesda (M'chedellah), Aïn Lekhel (Bouira) et Tichy Haf (Bouhamza). Leur débit total est de 240 millions de m3, soit 1/4 du barrage de Béni Haroun (Mila). Son relief escarpé est hautement érosif, d'où la pollution de l'eau de l'oued. Une quantité de cinq millions de tonnes de sable sous-marin à faible profondeur, due au phénomène d'érosion, a été constatée à l'embouchure. Ce sédiment est constitué de granulats et de sables alluvionnaires charriés par les eaux. Les scientifiques tirent la sonnette d'alarme L'étude lancée en 2008 – qui se poursuit toujours – sur l'oued Soummam, menée par le laboratoire BBBS (biochimie, biophysique, biomathématiques et scientométrie) de Béjaïa, en collaboration avec la Région de Haute Normandie et l'université de Rouen (France), révèle que les eaux de surface de l'oued sont "excessivement" polluées. Selon Pr Khodir Madani, directeur du laboratoire BBBS, à la faculté des sciences de la nature et de la vie (SNV) de l'université de Béjaïa, ce cours d'eau est en proie à deux types de pollution. Il y a d'abord la pollution naturelle, c'est-à-dire le phénomène d'érosion dû à la nature géologique du sol. Puis une pollution urbaine induite par plusieurs facteurs. On déplore le manque de stations d'épuration dans les grands centres urbains à haute densité de population, notamment à Akbou et Sidi Aïch. À titre illustratif, la plus forte densité de la population dans tout le pourtour méditerranéen a été enregistrée à Sidi Aïch, à savoir 1600 habitants/km2. Il y a aussi l'absence de fosses septiques dans les villages et hameaux. La prolifération des décharges sauvages au bord de l'oued, le phénomène de lessivage du sol par les eaux pluviales, les produits phytosanitaires utilisés dans l'agriculture, l'augmentation du nombre des PME, qui déversent leurs rejets industriels dans ce cours d'eau, sont également des sources de pollution. Selon une source proche de la direction de l'environnement de Béjaïa, pas moins de 93 points de rejets industriels ont été recensés à travers la vallée de la Soummam. "La majorité des industriels et des propriétaires des PME installées sur les deux rives jettent leurs déchets toxiques dans ce cours d'eau. Seules quatre usines de la ZAC Taharacht (Akbou) disposent de stations d'épuration", affirme notre interlocuteur, qui ajoute que "la quasi-totalité des huileries et des stations-services ne sont même pas dotées de bassins de décantation, pourtant exigés par la loi". Il faut dire que les textes existent, mais le problème réside dans le manque de volonté de l'Etat quant à l'application de ses propres lois. À cela s'ajoute aussi l'extraction anarchique et abusive des matériaux alluvionnaires par les exploitants des sablières implantées sur le lit de cette rivière. Néanmoins, les premiers résultats de la même étude soulignent "l'absence d'effets significatifs du réchauffement climatique sur la disponibilité de la ressource hydrique dans la vallée de la Soummam". Pour sa part, le directeur général du Centre national du développement de la pêche et de l'aquaculture (CNDPA), Mohamed Kacher, a déjà averti que "l'oued Soummam est extrêmement pollué et il ne faut, en aucun cas, boire de son eau, car le risque d'intoxication est élevé. Il faut éviter aussi de pêcher dans cet oued". Pour ce responsable, l'eau est polluée à tel point qu'il n'est même plus nécessaire de faire des analyses pour en prendre conscience. Car, a-t-il expliqué, "la pollution est visible à l'œil nu". Mort mystérieuse de poissons Outre les odeurs nauséabondes qui se dégagent des eaux de la Soummam, un phénomène nouveau qui en dit long sur le degré de pollution de cette zone humide fait son apparition depuis septembre 2014. Il s'agit de la mort massive et mystérieuse de poissons, notamment dans la partie en aval allant de Sidi Aïch jusqu'à l'embouchure, près du port de Béjaïa. Après l'hécatombe de 2014, imputée à une éventuelle teneur en chlorures dans l'eau, le phénomène refait surface cette année, à la faveur de la saison estivale. En effet, d'importantes quantités de poissons retrouvés morts sur le rivage ou flottant sur l'eau ont été constatées récemment par les citoyens de la vallée, notamment à Sidi Aïch et Amizour. Selon Dr Mourad Ahmim, expert en environnement et spécialiste en écologie animale, il serait fort probable que "le phénomène d'eutrophisation qui se traduit par les températures atypiques de la saison estivale en cours soit à l'origine de la mort de ces poissons". Autrement dit, il s'agit là d'une mort par asphyxie, due principalement au manque d'oxygène dans l'eau. Notre interlocuteur, qui tient à signaler des cas similaires enregistrés ces derniers jours dans des zones humides d'autres régions du pays, notamment à Annaba, Chlef, Alger et Aïn Témouchent, n'exclut pas le phénomène de pollution et l'impact humain. Pour sa part, Pr Khodir Madani expliquera ce phénomène par l'existence de deux types de pollutions qui pourraient affecter l'écosystème de l'oued Soummam. Outre le facteur d'eutrophisation qui provoque, selon lui, une surproduction d'algues, il y a la pollution organique que pourraient causer les produits phytosanitaires par exemple, et il y a aussi la pollution minérale, généralement induite par les métaux lourds (plomb, zinc, mercure, cadmium...). K. O.