C'est à la limite une catastrophe écologique. Sans surprise, c'est encore la pollution due aux usines de la région qui fait que les poissons sont rejetés par les eaux des oueds. Le 7 août vers 6h, des passants venant de Sidi Salem, le ghetto d'Annaba, à l'embouchure de l'oued Seybouse, découvrent, depuis le pont qui enjambe le cours d'eau, des dizaines de milliers de poissons échoués sur les rives ou flottant sur ses eaux noirâtres. Le spectacle est effrayant au petit matin et on imagine le pire à proximité de Fertial, ex-Asmidal, l'usine d'engrais désignée comme l'un des grands pollueurs de la région, même avec ses filtres. L'alerte est donnée… Mais il faut attendre l'ouverture des bureaux et la réactivité des fonctionnaires en période de congé pour que les choses commencent à bouger un peu. On ne sait lequel des services concernés - l'APC d'El Bouni et celle d'Annaba, la Direction de l'environnement, la Direction des pêches, des services vétérinaires, de la Direction de l'hydraulique ou la Gendarmerie nationale - arrive le premier sur les lieux. Entre-temps, nous assurent des témoignages rapportés par l'Association nationale de protection de l'environnement et de lutte contre la pollution d'Annaba (ANPEP), des individus sans scrupules ont vite ramassé des poissons morts pour les revendre à Sidi Salem, El Bouni, et encore plus loin, à Ben M'hidi, dans la wilaya d'El Tarf. Les poissons morts ou agonisants sur les rives ou sur l'eau, on va en trouver de l'embouchure de la Seybouse à Pont Bouchet, la zone d'activité industrielle d'Annaba (El Hadjar), soit sur un peu plus de 3 km. Les fonctionnaires d'Annaba n'ont pas été voir au-delà, car c'est la wilaya d'El Tarf, et dans ces cas-là c'est le chacun pour soi. Panne Au-delà, il y en a moins pour ne pas dire presque pas, nous affirme Ali Halimi, président de l'ANPEP. Les plus grosses concentrations de poissons se trouvent aux abords de pont Bouchet, là où le drain du lac Fetzara qui collecte les rejets en amont du complexe sidérurgique d'El Hadjar se jette dans la Seybouse et à la sortie de la Station de traitement des eaux usées (STEP) d'El Allellig, à 1 km en amont de l'embouchure. La STEP d'Annaba ne fonctionne pas et se contente de rejeter les eaux usées collectées dans l'oued. Pour l'ANPEP, il ne fait aucun doute que cette importante mortalité de poissons à pour origine la pollution industrielle, «ce que nous ne cessons de dénoncer haut et fort depuis des années. Cette fois-ci, nous voulons savoir qui est responsable de cette nouvelle catastrophe». Toujours selon M. Halimi, les APC concernées de la wilaya d'Annaba ont rapidement mis en place des équipes de ramassage des poissons qui ont été chaulés avant d'être enterrés dans le Centre d'enfouissement technique (CET) de Berka Zerga. Il y aurait eu trois camions à benne tasseuse remplis le premier jour, peut-être 5 tonnes, estime le président de l'Association de protection de l'environnement. Et il en restait encore à la fin du premier jour de ramassage précise-t-il. Pas autant, nous dit M. Boudalia de la Direction de l'environnement d'Annaba, où on suit le problème de puis le départ. Pas plus de 250 kg ! Ce qui paraît très en dessous de la réalité si on se réfère aux photos prises le 7 août au matin par une association de pêcheurs de Sidi Salem. Mais qui est responsable et que compte-t-on faire ? La Seybouse draine un versant de 2600 km qui s'étale sur 4 wilayas : Annaba, El Tarf, Guelma et Souk Ahras. Il y a plus de 200 unités industrielles implantées dans cet espace et tous leurs rejets se retrouvent d'une manière ou d'une autre dans l'oued et finalement dans le golfe d'Annaba, le plus pollué du pays. Il y aurait 4,5 millions de m3 de rejets polluants déversés quotidiennement. Pour M. Boudalia, il n'y aurait aucun rejet toxique des unités industrielles d'Annaba. Et à ce propos, il nous apprendra que les études du projet de dépollution de la Seybouse d'un montant de 360 millions de DA sont finalisées et que des contacts sont en cours avec des unités industrielles. A la Direction de la pêche et de l'aquaculture, toutes les dispositions ont été prises, nous dit-on encore. Des échantillons d'eau et de poisson ont été prélevés par différents services pour des analyses, mais on attend celles de la cellule de l'environnement de la Gendarmerie nationale. On ne peut pas se prononcer avant cela sur les causes de la mortalité et situer les responsabilités. On a pris des mesures pour éviter que le poisson prélevé soit consommé. En fait, rien de concret de la part de l'administration et il est fort probable que comme toutes les catastrophes précédentes du genre, cette affaire ne connaîtra pas de suite. Lois Le professeur Kara Mohamed Hichem, du laboratoire Biomar de l'université d'Annaba, s'est rendu sur les lieux et il est plus précis : «Les espèces concernées sont toutes des poissons d'eau douce : barbeaux de toutes tailles, mais aussi quelques carpes, anguilles et muges (mulets).» Après observation et dissection, il a établi qu'«il n'y a pas de signe particulier, ni sur le corps ni sur les branchies ou les viscères des individus examinés sur site où nous avons également observé quelques individus dans l'eau, avec nage difficile ou sur le dos». Pour le Pr Kara, l'origine de cette importante mortalité n'est pas due à une pathologie ou à une pollution chimique accidentelle, c'est une mort par asphyxie. «L'eau est verte, d'où le soupçon d'une cause naturelle due à une eutrophisation de l'eau. Il est fort possible que la dégradation par les bactéries de la matière organique dont est chargé ce milieu (rejets domestiques directs visibles, industries agroalimentaires le long du parcours) ait été accélérée par les hautes températures du mois d'août, entraînant une surconsommation d'oxygène et l'asphyxie des poissons. Ceci dit, seules des analyses pourront le confirmer.» Dépollution Des études réalisées ces dernières années par des universitaires, notamment ceux de la filière sciences de la terre, ont montré que les eaux de l'oued Seybouse ont atteint un degré de pollution qui ne menace plus seulement la faune et la flore de ses rives, mais fait peser maintenant des risques majeurs sur l'agriculture, la nappe phréatique et la santé publique. Un constat que partage Ali Halimi, de l'Association pour l'environnement : «La situation est extrêmement grave car elle empire en profondeur et en complexité malgré les lois qui sont promulguées pour précisément endiguer ces phénomènes.» En fait, un constat établi depuis des décennies, les cours d'eau d'Algérie, leurs réceptacles ou leurs exutoires ont été transformés en égouts à ciel ouvert. Il y a quelques semaines, ce sont des associations de Béjaïa qui ont lancé une alerte pour le même phénomène près de l'embouchure de la Soummam. En 2013, même scénario dans le barrage de Beni Haroun. Et des cas pareils, il y en a treize à la douzaine. Aujourd'hui, partout dans le monde, la lutte pour la vie est étroitement liée à la préservation des milieux aquatiques. L'eau se fait rare et on prévoit une crise majeure au Maghreb dans les prochaines décennies. L'enjeu est de la préserver ou de la recycler en favorisant un équilibre de la vie aquatique. Nous continuons à faire exactement le contraire.