Ce report inattendu a été justifié selon le juge par la “nécessité d'un complément d'informations” concernant 5 détenus parmi les 17, en clandestinité depuis quelques mois et qui ne se sont rendus à la justice que le 22 février dernier. Fortement appréhendé, le procès des 17 détenus de Ghardaïa, parmi lesquels figure le Dr Kamel-Eddine Fekhar, secrétaire fédéral du FFS et membre de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH), que d'aucuns qualifient à juste titre de “procès du siècle de la vallée du M'zab”, prévu hier devant la cour criminelle de la même ville, a été finalement reporté à une date ultérieure, soit avant la fin de la session criminelle de la cour prévue le 19 mars prochain. Ce report pour le moins inattendu a été justifié par le juge par la “nécessité d'un complément d'informations” concernant 5 détenus parmi les 17, en clandestinité depuis quelques mois et qui n'ont concédé à se livrer aux mains de la justice que le 22 février dernier. Explications d'un avocat : “Il a ordonné un complément d'informations. Les 5 prévenus n'ont pas été entendus par le juge d'instruction, et l'instruction est obligatoire.” “En vertu des articles 66 et 276, le procès est reporté aux prochains jours de telle sorte que tout le monde soit entendu, car il s'agit du même dossier”, a commenté le magistrat. Ainsi, un conseil a été désigné pour entendre les 5 prévenus. Ces arguments n'avaient pas semblé pourtant convaincre le collectif des avocats, fort de 17 robes noires venues pour la circonstance défendre les militants des droits de l'Homme. Selon Me Bouchachi, “la cour d'Alger a bien eu à traiter des affaires similaires”. “Il n'est pas dit que le juge doit entendre tous les détenus”, a-t-il ajouté. Un autre avocat soutient, pour sa part, qu'“écouter les prévenus fait partie aussi de l'enquête”. Dans un point de presse animé au siège de la fédération du FFS, de nombreux avocats, visiblement incommodés par le report, mais optimistes à souhait, n'ont pas manqué de relever, outre que “le magistrat pouvait auditionner”, mais que la détention provisoire, mesure exceptionnelle, est “abusive”. En majorité des étudiants, les prévenus pouvaient à tout moment être convoqués d'autant que “leurs parents avaient donné des garanties aux autorités judiciaires pour venir les chercher à tout moment”, a témoigné une avocate venue d'El-Bayadh. Il reste que ce report a vite fait d'alimenter quelques spéculations ici à Ghardaïa. D'aucuns ne se sont pas empêchés d'y entrevoir des “injonctions” en raison des risques de débordement, d'une part, au regard de la forte mobilisation et, d'autre part, des conséquences qu'une lourde peine aurait induites sur l'image du pays d'autant que le procès concernait des militants des droits de l'Homme et s'inscrivait en porte-à-faux avec les conventions internationales ratifiées par l'Algérie. Pour le FFS, en tout cas, ce “recul” est le résultat de la formidable mobilisation des militants. “Sans conteste, la mobilisation fait peur”, a commenté juste après le report l'ancien premier secrétaire du parti, Ahmed Djeddaï. Il faut dire que de mémoire de nombreux Ghardaouis, jamais procès n'a suscité autant d'intérêt et de mobilisation. Flanqués de dossards à l'effigie du parti et de “calottes” typiques de la région du M'zab, de nombreux élus du FFS, dont des présidents d'APC — plus d'une cinquantaine —, des parents de prévenus, des militants des droits de l'Homme, à l'image de Hafnaoui Ghoul ou encore de Bouras, des animateurs du mouvement du Sud, des militants de RAJ et de nombreux anonymes ont pris d'assaut dès le début de matinée la cour de Ghardaïa. Un dispositif policier renforcé a été même déployé autour de l'enceinte de la cour qui s'est révélée exiguë pour contenir toute cette foule venue pour la circonstance. “Ils sont innocents”, criait un citoyen à l'intérieur de la salle d'audience, avant d'être rappelé à l'ordre par des notables, au milieu de dizaines de mains levées en signe de victoire à l'adresse des prévenus, après que le juge eut prononcé le report, une heure seulement après son ouverture. Au siège local de la fédération du FFS, une fébrilité particulière régnait. Alors qu'une foule massée à l'extérieur scandait “Imazighen”, le premier secrétaire Ali Laskri remerciait, en compagnie des avocats, tous ceux qui se sont mobilisés. “Je remercie les partis, les associations qui ont apporté leur soutien”, a t-il dit. “Malgré les entraves, la mobilisation a eu lieu et j'espère que nous allons gagner”, a t-il ajouté. Des barrages à Berriane pour filtrer les militants du FFS En parlant d'entraves, Laskri faisait allusion aux multiples barrages dressés la veille à Laghouat, Berriane, à 40 km au nord-ouest de Ghardaïa, et à l'entrée même de la ville où des gendarmes avaient empêché des militants du FFS de rejoindre la capitale du M'zab. Près d'une dizaine de véhicules transportant des élus et des militants du parti ont été bloqués pendant près de huit heures à Berriane avant d'être autorisés à partir. Selon de nombreux témoignages, tous les véhicules immatriculés à Béjaïa ou à Tizi Ouzou sont automatiquement arrêtés. Des bus en provenance d'Alger à destination de Ghardaïa ont même été fouillés, affirment d'autres témoins. “Nous avons reçu des ordres”, aurait affirmé un officier de la gendarmerie à Karim Tabbou qui l'interpellait sur le procédé. Il aura fallu l'intervention de Djoudi Mammeri, qui a usé de son immunité parlementaire, pour dénouer la situation. “On a fait des pressions. On a dit au capitaine qu'on déposerait une plainte car l'ordre n'est pas écrit”, a expliqué Djoudi. Il faut dire que les militants avaient décidé de rejoindre Ghardaïa à pied. Une perspective, semble-t-il, qui a tétanisé les services de sécurité. “C'est une grave atteinte à la liberté de circulation”, a commenté Karim Tabbou. “C'est une provocation, une atteinte aux droits de l'Homme”, a estimé pour sa part Djoudi. D'ailleurs le parti n'entend pas se “laisser faire” puisque une action devant les tribunaux est envisagée après cet incident de Berriane. K. K.