Dans une Libye peuplée d'à peine 6 millions de personnes, ce sont plus de 26 millions d'armes qui y circulent en toute illégalité. L'instabilité que vit la sous-région de l'Afrique du Nord et de l'Afrique sahélo-saharienne est la conséquence directe de l'intervention étrangère en Libye, a expliqué hier le ministre chargé des Affaires maghrébines, de l'Union africaine et de la Ligue des Etats arabes, Abdelkader Messahel, au siège du ministère des Affaires étrangères. "Nous avons mis en garde nos partenaires sur les conséquences d'une intervention militaire étrangère sur la Libye et sur l'ensemble de la sous-région", a-t-il déclaré, lors d'une conférence animée par Martin Kobler, le représentant spécial du SG de l'ONU en Libye et chef de la mission de maintien de la paix onusienne dans ce pays voisin. "Il y a un lien direct avec ce qui se passe dans la sous-région et qui a affecté notre pays", a-t-il expliqué, en référence à l'attaque armée du site gazier de Tiguentourine, à In-Amenas, en janvier 2013. Le groupe terroriste "Les signataires par le sang", auteur de cette attaque, s'était introduit en territoire algérien en passant par la Libye, profitant de l'anarchie que vit ce pays voisin depuis la chute de l'ancien régime de Mouammar Kadhafi fin 2011, au lendemain d'une intervention chaotique de l'Otan, sous le couvert du Conseil de sécurité de l'ONU. Abdelkader Messahel a rappelé ???? s'était beaucoup investie en 2013 et 2014 pour empêcher qu'une nouvelle intervention ait lieu en Libye. "En 2013 et 2014, on parlait beaucoup d'intervention étrangère", a rappelé M. Messahel. "Mais dans toute guerre, nous savons tous quand elle commence et jamais quand elle se termine. Ce qui est certain, c'est que toutes les guerres s'achèvent dans (et avec, ndlr) le chaos", a insisté le ministre. Et d'ajouter : "Nous avons beaucoup travaillé avec l'ancien représentant de Ban Ki-moon, Bernardino Leon, en faveur du lancement d'un dialogue politique inclusif." Car, selon M. Messahel, "le dialogue politique est la seule piste" pour aboutir à la paix dans n'importe quelle crise politique dans le monde, citant l'exemple du Mali, où l'affrontement armé n'a jamais été une solution. Toutefois, "il ne peut pas y avoir de solution sans un dialogue inclusif". Ce qui manque aujourd'hui aux Libyens, a enchaîné Martin Kobler, affirmant que 50% de la population libyenne est âgée entre 15 et 35 ans. "Mais ces jeunes et les femmes ne sont pas représentés" dans ce processus de dialogue, a regretté le diplomate allemand qui n'a pas manqué de montrer son étonnement de voir des Libyens refuser de s'asseoir avec leurs rivaux autour d'une même table. "Or, à un moment ou à un autre, nous sommes obligés de nous mettre à table pour discuter et trouver une solution", a-t-il ajouté. "Lorsqu'on parle du dialogue, nous devons impliquer tous les acteurs que ce soit les parlementaires ou les acteurs qui occupent le terrain", a renchéri M. Messahel, avant de rappeler : "Nous n'avons aucun problème avec aucune partie libyenne." Le ministre a souligné, à ce propos, qu'"il n'y a pas plus dangereux que l'interférence" dans ce dialogue que "nous devons préserver", afin de permettre aux Libyens de prendre leur destin en main. De son côté, l'envoyé spécial onusien a insisté sur l'urgence de construire une assise politique, sécuritaire et économique autour du gouvernement d'union nationale, pour le rétablissement de la paix dans ce pays, où deux entités politiques et militaires se partagent le pouvoir à l'Est (Tobrouk et Benghazi) et à l'Ouest (la capitale Tripoli), alors que le pays fait face aux terrorismes et à la crise de migrants et des réseaux de trafics d'armes. M. Kobler a saisi l'occasion de cette conférence pour rappeler que dans une Libye peuplée d'à peine 6 millions de personnes, ce sont plus de 26 millions d'armes qui y circulent en toute illégalité. Cela explique, en partie, la multiplication du nombre des groupes criminels qui ont proliféré à travers tout le pays. L'embargo imposé sur les armes en Libye n'est malheureusement pas respecté, a reconnu l'émissaire onusien, même si des efforts sont quotidiennement consentis pour mettre fin à l'achat des armes, en provenance des frontières Sud ou par voie maritime. Cela, sans compter les armes volées au lendemain de la chute de l'ancien régime de Tripoli, dont une partie avait même servi au Mali durant la rébellion de 2012. M. Kobler a réaffirmé, par ailleurs, qu'il y a un défi structurel pour l'armée libyenne qui, aujourd'hui, demeure divisée et sujet à une guerre de leadership entre le controversé général à la retraite, Khalifa Haftar, et ses opposants qui l'accusent de crimes de guerre à Benghazi et les autres villes de l'Est libyen. Lyès Menacer