"Ce glissement de l'intérêt politique vers la psychopathologie du passage à l'acte permet l'indispensable éclairage sur les raisons qui ont conduit le régicide à tenter de bouleverser l'équilibre politique du pays", soutient l'auteur. "Pourquoi, un jeune officier d'un corps prestigieux, assassine de sang-froid, le Président de son pays, alors qu'il n'a jamais eu de rapport direct ou indirect avec lui ?" En tentant une réponse, pas toujours évidente, à une interrogation aussi lancinante, le professeur Farid Kacha nous invite, à travers son ouvrage consacré à l'assassinat du président Mohamed Boudiaf, à un voyage pas comme les autres, à la découverte de l'insondable subconscient du tueur, Lembarek Boumaârafi. Dans cet ouvrage intitulé "L'assassinat d'un président. Psychiatrie et justice", qu'il vient de sortir chez les éditions Thala, le fondateur et président de la Société algérienne de psychiatrie (SAP) propose au lecteur un aspect souvent négligé ou complètement ignoré dans le traitement des affaires liées au crime. Dans le cas qui nous intéresse, s'agissant d'un régicide où la victime n'est autre qu'un président de la République, l'auteur tente, avant tout, de savoir ce qui se passe dans les tréfonds de ce subconscient qu'il désigne par "intimité psychologique de l'assassin, là où se situe la source du drame". Ceci dit, ceux parmi les lecteurs qui s'attendent à découvrir de nouvelles révélations sur ce crime d'Etat qui a bouleversé le destin du pays et qui a contribué à le plonger dans les affreuses souffrances des années 90 risquent d'être déçus. L'auteur lui-même, d'ailleurs, prévient dès l'avant-propos. "J'ai bien conscience de ce que sera l'immense frustration du lecteur, et même de l'éditeur, car la plupart sont en attente d'évènements inédits, de scoop ou de sensationnel, en mesure de justifier les rumeurs les plus incroyables. Pourtant, c'est bien plus dans l'étude de l'extraordinaire complexité des comportements humains, et certainement une grande partie de la vérité", explique-t-il, en effet, dans l'avant-propos. "Ce glissement de l'intérêt politique vers la psychopathologie du passage à l'acte permet l'indispensable éclairage sur les raisons qui ont conduit le régicide à tenter de bouleverser l'équilibre politique du pays", soutient l'auteur. Le Pr Kacha s'est basé, pour construire son ouvrage, sur l'expertise psychiatrique de l'auteur de l'acte, Lembarek Boumaârafi, qu'il avait conduite en 1992 à la demande du président de la commission d'enquête sur l'assassinat du président Boudiaf, Ahmed Bouchaïb. L'ouvrage se veut, donc, selon son auteur, un essai et un témoignage. Face aux difficultés de cerner ce monde impénétrable, voire mystérieux qu'est la psychologie pour le commun des lecteurs, l'auteur, en bon psychiatre qu'il est, n'abandonne pas ses vis-à-vis. Il prend le soin en effet de leur proposer des outils leur permettant de les familiariser avec le monde objet de l'étude afin de l'aider à mieux comprendre la vérité psychologique qui a conduit le régicide à la réalisation de son acte. Pourtant, malgré tous les efforts consentis dans le sens de la compréhension des espaces les plus intimes de la pensée du tueur, l'auteur consent à admettre toutes les limites d'une intervention pourtant à première vue décisive pour rendre la justice. "Psychiatre expert, je ne le suis pas par vocation, j'ai chaque fois été mal à l'aise dans ce rôle qui me donne souvent l'impression de trahir l'expertisé, de lui soutirer ses pensées les plus intimes, ses angoisses les plus profondes pour ensuite les abandonner et l'abandonner aux juges et aux magistrats, l'abandonner à ‘l'appareil judiciaire'", finit-il par confesser. Hamid Saidani L'assassinat d'un président. Psychiatrie et justice du Pr Farid Kacha, Editions Thala, 2016, 236 pages.