Dans une société algérienne aussi conservatrice que rigoriste, la maladie du sida, ou le syndrome d'immunodéficience acquise, est perçue comme un "châtiment divin". Son porteur est pointé du doigt, stigmatisé et accusé de tous les maux. En 2016, les mentalités n'ont guère évolué et toutes les campagnes d'information et de sensibilisation peinent encore à trouver un écho favorable auprès de l'opinion publique. Le séropositif est obligé de se cacher, de vivre en marge de la société et de prier pour que sa "malédiction" ne soit pas divulguée. C'est le cas de Mohamed (prénom changé à sa demande), 48 ans et originaire de Bouira, séropositif depuis 2001. Pour ce quadragénaire aux allures de sexagénaire, fortement amaigri, tout a basculé le 14 mars 2001. "Même la mort ne veut pas de moi !" "Je me sentais tout le temps fatigué et essoufflé, pourtant je ne faisais aucun effort particulier. J'étais fonctionnaire dans le secteur des télécommunications et je venais de me marier (...) Un beau jour, mon médecin m'a demandé de faire des analyses. Sur le coup, je ne les ai pas faites. Je n'en voyais pas l'utilité, mais mon état s'étant aggravé, je me suis décidé à y aller", racontera-t-il. Notre interlocuteur, cigarette à la bouche, le visage très pâle, s'est remémoré ce "mercredi noir" où il a découvert qu'il était atteint du virus du VIH. "Je suis allé chercher mes analyses et le docteur m'a demandé de m'asseoir près de lui. Je ne vous cache pas que j'ai été pris de panique, mais à aucun moment, je ne m'étais douté que c'était cette maladie", déclare-t-il. Et de poursuivre : "Le médecin m'a dit que j'étais atteint du sida, et soudain, j'ai cru que le ciel me tombait sur la tête. Je n'y ai pas cru sur le moment et je ne voulais pas y croire. Il m'a fallu près de six mois pour que je me rende à l'évidence", expliquera Mohamed, les larmes aux yeux. Cet ancien ingénieur en télécommunication, actuellement au chômage, avoue avoir fait deux tentatives de suicide, en 2002 et en 2003. "Même la mort ne veut pas de moi !" "Tous m'ont abandonné, sauf ma mère" Interrogé sur les circonstances qui ont fait qu'il soit contaminé par ce virus, notre interlocuteur, 15 ans plus tard, dit "ne pas comprendre comment c'est arrivé". "Je ne sais pas... Mon ex-femme peut-être. En me coupant avec un rasoir, ou tout simplement le destin. Une chose est certaine, je ne me suis jamais aventuré dans des relations extraconjugales ou dans le milieu de la drogue", a-t-il affirmé. Et d'enchaîner : "Il faut arrêter de penser que cela n'arrive qu'aux prostitués, aux drogués ou aux personnes aux mœurs légères. Cela peut arriver à n'importe qui, j'en suis la preuve." À la question de savoir comment a réagi son entourage en apprenant qu'il était séropositif, Mohamed fronce les sourcils et son visage est tourmenté. "Tous m'ont abandonné ! Ma femme a demandé le divorce, mes trois frères et mes deux sœurs ont coupé les ponts, mon père a refusé et refuse de me parler et il ne me considère plus comme son fils... Ma défunte mère a été la seule et unique personne à vouloir encore de moi et sur son lit de mort, elle me disait : ‘C'est la volonté de Dieu'." Et il a accepté l'idée de vivre avec sa maladie quand il a rencontré un autre malade lors de son séjour à l'hôpital El-Kettar à Alger. "Là, j'ai fait la connaissance d'un jeune, il s'appelait Hamid et à l'époque, c'est-à-dire en 2005, il avait 26 ans. Je me souviendrai toujours de sa force pour lutter contre cette maladie. Il était si jeune, très intelligent et il venait de décrocher son doctorat en chimie. Il me disait toujours : ‘C'est la maladie ou moi.' Finalement, c'est la maladie qui l'a emporté en 2009", a-t-il raconté non sans une certaine nostalgie. Et d'affirmer : "Depuis ce jour, j'ai décidé de me battre et ne plus me laisser mourir." Mohamed dit prendre un traitement "lourd" prescrit par son médecin. Au terme de cet entretien, Mohamed tiendra à livrer son constat de la situation des séropositifs en Algérie, et d'après-lui, elle ne prête guère à l'optimisme. "La société algérienne, notamment à Bouira, n'est pas encore prête à nous accepter. C'est triste à dire, mais c'est la seule et unique vérité." RAMDANE B.