Cette question mémorielle qui bouleverse encore aujourd'hui la société française permet à des candidats d'adresser avec des discours différents, nuancés ou extrêmes, des niches d'électeurs. Certains n'ont aucun mal à remettre au goût du jour l'idéologie de la colonisation. Pour parler d'avenir, les candidats à l'élection présidentielle de 2017 en France convoquent le passé. Certains s'attardent notamment sur l'épisode de la colonisation et plus particulièrement sur la très longue séquence de la guerre d'Algérie, un fardeau mémoriel qui pèse encore de tout son poids sur la vie politique du pays. Si les candidats, déclarés ou aspirants, n'étaient pas nés ou étaient encore trop jeunes durant cette période, cela ne les empêche pas d'en parler et de ressusciter des souvenirs qui hantent encore le subconscient collectif. La question divise, car elle touche des pans entiers de la société française, des niches d'électeurs potentiels, que chacun veut adresser, afin de s'assurer leurs suffrages. S'employant à ménager la chèvre et le loup, l'ancien ministre de l'Economie, Emanuel Macron, tient par exemple un discours ambivalent sur cette question. Selon lui, la France a, certes, commis des ignominies en Algérie, mais elle a eu un rôle incontestable dans la mise en place d'un Etat. "Oui, en Algérie, il y a eu la torture, mais aussi l'émergence d'un Etat, de richesses, de classes moyennes, c'est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie", a-t-il affirmé récemment dans une interview. Jouant sur les nuances, il poursuit en précisant que "le roman national comprend à la fois de belles et de mauvaises histoires". Le souvenir des belles choses devrait en l'occurrence séduire les nostalgiques de l'Algérie française. Pour les plus mauvaises, Macron peut compter sur l'approbation des populations immigrées des banlieues qui, à cause de leurs origines, sont encore parfois traitées comme des catégories de citoyens de seconde zone. On a pu prendre la mesure de cette dépréciation en janvier 2015, lorsque le président François Hollande a proposé sa loi sur la déchéance de la nationalité juste après les attentats contre Charlie Hebdo. Avec ce texte, le chef de l'Etat français a mis une distance entre lui et des milliers de Français d'origine étrangère, dont beaucoup de Franco-Algériens qui avaient massivement voté pour lui en 2012. Il faut dire qu'à l'époque son discours était plus avenant. Hollande donnait l'impression de vouloir soigner les blessures du passé. On se souvient qu'il avait notamment déposé une gerbe de fleurs au pont de Clichy où des Algériens avaient été jetés à la Seine. Il parlera plus tard d'une "répression sanglante" des manifestations du 17 octobre 1961, une qualification des événements qui n'a pas été du goût de tout le monde. À droite, Nicolas Sarkozy, qui avait assidûment dragué les pieds-noirs et les harkis dans la perspective de sa réélection en 2012, a crié au scandale. François Fillon, grand gagnant de la dernière primaire, a lui aussi exprimé son désaccord avec les tentatives du gouvernement actuel de rétablir la vérité sur la guerre d'Algérie. Aujourd'hui, il va à son tour à la chasse aux voix sur les terres de l'extrême droite, en reprenant à son compte les thèses les plus scandaleuses sur la colonisation. Opposé à toute forme de repentance de la France pour ses crimes coloniaux, il a condamné, il y a quelques mois, à la célébration de la fin de la guerre d'Algérie, estimant qu'elle est méprisante pour les pieds-noirs et les harkis. L'ancien Premier ministre a provoqué la polémique tout récemment en affirmant que la colonisation se résume à un partage de culture. Pour la gauche, l'opinion de Fillon sur la colonisation cadre avec la tonalité de son discours de campagne, que des candidats, à l'image d'Arnaud Montebourg, qualifient de violent. L'ancien ministre du Redressement productif de François Hollande réclame, pour sa part, depuis longtemps que la France assume son passé colonial. L'actuel Premier ministre Manuel Valls, qui est aussi un candidat potentiel à la présidentielle, partage cet avis en estimant qu'il est impossible de nier les atrocités commises. Reste à savoir si les prochains présidents socialistes iront jusqu'au bout pour défendre leurs convictions. S. L-K.