Le récit que nous propose le journaliste et écrivain Youcef Dris, à travers Le puits confisqué, est inspiré de faits réels qui se sont produits dans le Sud-Est algérien, plus précisément, dans les villes de Biskra et l'Oued durant la période coloniale. À travers ses 134 pages, l'auteur revient sur un pan de l'histoire de l'Algérie, au début d'un XXe siècle, marqué par l'expansion dévastatrice et la spoliation des colonies françaises des terres des autochtones. L'asservissement de la population à la fin du XIXe siècle et des insurrections comme celles du cheikh Mohand El-Mokrani, qui furent réprimées par de sanglantes représailles, est le point de départ de cet émouvant récit, où le journaliste rappelle, dans son avant-propos, les terreurs subies par la population, dès lors qu'elle osait réclamer ses droits les plus élémentaires ; le respect, la dignité, et le recouvrement de ses biens, souvent confisqués par la force des armes, en soulignant : "(...) C'est dans cette atmosphère de peur, de non-droit pour les autochtones, de répressions, de spoliation des terres et des biens et de confiscation des points d'eau, source indispensable à la vie des hommes et des bêtes de cet immense territoires qu'est le grand Sud algérien bien plus qu'ailleurs, que se déroule l'histoire qui va suivre. Une histoire émouvante et tragique à la fois." Emouvant en effet, car ce roman, porté par un protagoniste, Abbès, dont la vie fut une succession de tragédies ; l'assassinat de son père et de son grand-père alors qu'il n'avait que dix ans, suivie de celui de sa mère, drames qui marqueront le jeune garçon dans sa chair et son esprit. Ce dernier aurait pu vouer sa vie à une vengeance des plus légitimes. Mais au lieu de cela, et grâce à sa grande sagesse, sa profonde foi et sa sensibilité, il devient l'un des hommes les plus vertueux et les plus nobles que la région d'adoption, Oued Souf, ait connu. Par ailleurs, et parallèlement à l'histoire d'Abbès, le narrateur de ce récit, basé à la fois sur des faits réels et soutenu par l'imaginaire littéraire et poétique de l'écrivain, que nous retrouvons tout au long des quatre chapitres et de l'épilogue, raconte à son tour les conditions auxquelles la population soufie est soumise, entre barbarie des colons et traîtrise de certains Algériens, ils résistent néanmoins, en mettant un point d'honneur à préserver leur dignité. Le jeune narrateur, déjà conscient des enjeux sociaux et politiques qui se trament dans ce décor des Mille et Une Nuits, relate son passage au collège de Constantine, et le traitement réservé aux enfants des indigènes. On constate alors l'influence mutuelle de ces deux personnages, si Abbès apporte sagesse au jeune narrateur, ce dernier l'aide à son tour à garder foi en l'humanité. Puisant du terroir du Sud et de ses légendes, Youcef Dris signe avec Le puits confisqué, un bel hommage à cette envoûtante région de notre pays. De Ourgla à Biskra, en passant par Oued Souf, c'est tout l'émerveillement de l'auteur par ces les lieux mythiques qui rejaillit lors de la lecture de cette œuvre, qui revient sur un lourd passé, subi par des hommes, dont l'unique faute était de vouloir vivre dignement, face une politique coloniale oppressante, mais qui n'est jamais parvenue à faire fléchir ces êtres, ces descendants de la Kahina, d'El Mokrani et tant d'autres, qui ont donné leur vie pour que la liberté triomphe. Yasmine Azzouz Roman "Le puits confisqué", de Youcef Dris, éditions El-Ibriz, 134 pages, 2016.