Le nombre des recours est passé de 13 703 en 2003 à 17 998 en 2004. 51 magistrats sur l'ensemble des 126 travaillant à la Cour suprême, soit presque la moitié des effectifs, se chargent exclusivement du traitement des milliers d'affaires de pourvoi en cassation réceptionnés annuellement. Les chiffres révélés hier par Mohamed Zaghloul Boutarene, premier président de cette institution à l'ouverture de la conférence nationale sur la réforme de la justice, sur l'ampleur des dossiers en suspens lève davantage le voile sur les dysfonctionnements de l'appareil judiciaire, notamment l'incapacité des cours primaires à rendre des verdicts équitables. Cependant, aux yeux de M. Boutarene, la défaillance des tribunaux n'explique pas totalement l'abondance des requêtes. À son avis, la facilité des procédures permettant aux justiciables de saisir la Cour suprême, en dernière instance, est en partie responsable de cet encombrement. “Beaucoup d'individus sur lesquels plane une décision d'emprisonnement introduisent des pourvois en cassation afin de retarder leur incarcération”, fait observer le magistrat. Les résultats sont stupéfiants. Sur 94 969 affaires, 44 000 — soit 60% — sont des recours. Comme si cet état de fait n'était pas suffisamment inquiétant, la tendance constante à la hausse du nombre des “appels” rend compte de l'étendue du marasme. Ils étaient estimés à 13 703 en 2003. En 2004, 17 998 nouvelles affaires sont enregistrées. À l'origine de cette situation la décennie noire et l'explosion du terrorisme. Comme les tribunaux primaires, la Cour suprême est submergée. C'est en tout cas l'argumentaire développé par son premier président. Ne s'arrêtant pas au constat, il préconise des solutions radicales. Si la suppression de toute possibilité de pourvoi en cassation est, d'après M. Boutarene, une violation grave du droit, il propose une série d'artifices et des amendements législatifs avec pour objectif, d'une part, de réhabiliter la Cour suprême dans sa mission initiale, soit le contrôle de la légalité des décisions, et non pas le jugement des faits et, d'autre part, dissuader le commun des mortels de s'adresser à son institution, y compris pour la révision de jugements mineurs n'entraînant pas l'emprisonnement. Dans ce domaine, le fonctionnement de la cour de cassation française est érigé en exemple à suivre. D'ailleurs, son premier président compte parmi les invités étrangers aux états généraux de la justice. Dans une intervention très académique devant la plénière, il a limité le rôle de son institution à la vérification de la conformité des jugements rendus par la loi. L'apport de la Cour suprême de l'Hexagone dans les différentes réformes initiées par les pouvoirs publics d'outre-mer est également mis en relief par l'orateur. Tendant à minimiser cette contribution, le magistrat parle modestement “de suggestions soumises aux pouvoirs publics et sériées dans des rapports réguliers”. De telles propositions vont au-delà du sol français et consolident la législation européenne. Au cœur du Vieux-Continent, un principe fait l'unanimité. Il est relatif à la séparation des pouvoirs. En France, il date de la Révolution. Ailleurs, il s'est imposé à des périodes différentes. En Espagne, l'indépendance de la justice avait été entérinée suite aux réformes des années 80. Retraçant les circonstances de cette autre révolution devant les magistrats, hier matin, le secrétaire d'Etat ibérique de la Justice s'est attardé sur ses principaux ingrédients. Sur le plan quantitatif, l'augmentation constante du nombre de juges — ils sont plus de 40 000 aujourd'hui — permet, selon lui, un traitement plus attentif des affaires, soit des jugements de meilleure qualité. En 2004, le nombre de dossiers pris en charge par la justice de ce pays dépasse les cinq millions. En matière de rendement, le renforcement de l'arsenal législatif, surtout dans le domaine de la protection de la femme et des mineurs, est une autre garantie d'équité avancée par le représentant du garde des Sceaux espagnol. S. L.