Les écrivains Samir Kacimi et Amara Lakhous ont animé, le 13 avril dernier, sous la modération de Mohammed Sari, au Centre d'études Diocésain des Glycines (Alger), une rencontre autour de leurs œuvres respectives, la place de l'arabe dialectal dans ces dernières ainsi que l'influence de leurs parcours, très différents, sur leurs productions. Deux écrivains arabophones de la nouvelle génération, en l'occurrence Samir Kacimi et Lamara Lakhous, présentaient, jeudi dernier, devant un parterre de lecteurs et de journalistes, leurs derniers ouvrages parus aux éditions Barzakh, à savoir L'amour au tournant pour le premier, qui narre l'histoire d'un octogénaire attendant paisiblement la mort, jusqu'à sa rencontre avec un inconnu qui lui apportera un nouveau regard sur la vie et...l'amour, et L'affaire de la pucelle de la rue Ormea pour le second, ayant pour toile de fond la ville de Turin, où une adolescente accuse deux Roms de viol, qui aura pour conséquence une campagne raciste à laquelle fera face toute leur communauté. Malgré la langue d'écriture qu'ils partagent, leur approche de la littérature est restée néanmoins très différente. Pour Amara Lakhous, l'écriture était devenue un acte salutaire et une arme, en cette année 1995, alors que l'Algérie vivait l'une des pires tragédies de son histoire. L'admirateur de Flaubert, Nikos Kazantzakis, Abderrahmane Mounif, Khairi Chalabi ou encore Najib Mahfouz confiera d'ailleurs à l'assistance comment son émigration vers l'Italie l'avait sauvé à cette période : "Avec les années 1990, il était pour moi plus une nécessité de fuir le pays qu'une envie de partir ailleurs, une terre que j'ai d'ailleurs quittée avec une sensation d'échec." Les traces de ce parcours, teinté d'une multi-culturalité enrichissante, se retrouveront dans ses œuvres, où il sera grandement influencé par le cinéma et l'art, à l'instar de son premier roman Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio, récompensé par le prix Racalmare Leonardo Sciascia, ou encore Divorce à la musulmane à Viale Marconi : "J'ai été plus inspiré par le cinéma que la littérature dans ma carrière d'écrivain. Hitchcock et sa caméra, ses dialogues bien ficelés, ou encore Innaritù, m'ont beaucoup marqué. On retrouve aussi un petit côté "Comedia del Arte" dans mes écrits, où les rires, l'ironie et la farce laissent tantôt place aux larmes." Kacimi, en revanche, a connu un parcours assez composite avant de s'investir dans l'écriture, en étudiant d'abord les mathématiques et le droit, suivis d'une carrière dans le journalisme ; c'est par hasard qu'il prendra la plume pour la première fois, un jour alors qu'il était dans son bureau : "Un jour, alors qu'il y avait une panne générale dans l'entreprise, je me suis mis à écrire quelques lignes de ce qui deviendra mon premier roman, inspiré d'un reportage sur les prisons que j'avais fait auparavant." Aussi, pour le romancier, un écrivain injecte inévitablement sa propre vie dans ses écrits, et une grande partie du réel se retrouve ainsi dans les fictions : "Pour moi, la vie d'un écrivain doit se retrouver dans ses œuvres. Je ne planifie pas mes écrits, car ils prennent tous racine d'un évènement qui m'aura marqué." Interrogé sur la place et la visibilité du dialecte algérien et l'implication du lecteur dans les œuvres en arabe, Kacimi dira : "C'est le niveau et l'habileté littéraire de l'auteur qui détermine le degré d'implication et de compréhension du lecteur, qu'importe la langue, que ce soit en arabe littéraire ou autre." Avant d'ajouter : "Je reconnais que parfois, il faut que notre langue dialectale soit présente, parce qu'il existe des termes qui n'ont pas d'équivalents en arabe littéraire. Notre langue recèle également une importance culturelle, mais cela ne justifie pas son utlisation tous azimuts." Un débat enrichissant en somme entre deux auteurs aux approches très différentes, qui reflète du reste la diversité de cette nouvelle génération, mue par une envie de changement et de modernité. Yasmine Azzouz