« Ecrivain arabophone et italophone » qui veut en finir avec la « guerre civile linguistique ». C'est ainsi que se présente Amara Lakhous, invité jeudi dernier à la librairie Espace Noûn à Alger, lors d'une rencontre autour de son roman Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio qui vient de sortir aux éditions Barzakh. Une édition en français pour un roman qui a voyagé entre plusieurs langues. Ecrit d'abord en arabe paru chez El Ikhtilef à Alger en 2003 sous le titre Comment téter une louve sans se faire mordre ?, l'auteur l'a réécrit non pas seulement traduit en italien (chez edizioni e/o) en usant des dialectes et du parler populaire. La version française est ensuite parue en 2007 chez Actes Sud en France, et enfin en Algérie. A sa sortie en Italie, le roman a été salué par la critique et a reçu le prix Flaiano 2006 aux côtés de Enrique Vila-Matas et Raffaele La Capria, et le prix Racalmare Leonardo Sciascia. Né en 1970 à Alger « dans une famille où on ne parlait que kabyle » Amara Lakhous travaille comme journaliste à la Radio algérienne, s'exile ensuite en 1995 à Rome où « il a été accueilli par la langue italienne », et exerce actuellement comme chercheur en anthropologie et journaliste. Il est également auteur d'un roman en arabe, Le Corsaire et les Punaises en 1992, traduit ensuite en italien. Ses terrains de recherche dans les foyers et centres pour immigrés en Italie, l'ont sensibilisé quant à la question des rencontres des cultures. « Choc des civilisations ou des cultures est une sorte de recette employée pour justifier certaines politiques. Mais en réalité, a-t-on vu des chocs entre des poètes italiens et des poètes arabes ? », lance-t-il. Le titre du roman, ironique à souhait, renvoie à cet état d'esprit ancré dans les fantasmes politiques actuels. Son expérience d'immigré travaillant sur d'autres immigrés venus du monde entier, lui a aussi ouvert les yeux sur la multiplicité des points de vue, de l'Histoire et de la vérité. C'est le secret même de la construction de son roman-puzzle. Dans ce livre, les témoignages des habitants d'un immeuble à la Piazza Vittorio, quartier multiethnique de Rome, étrangers ou Italiens issus de différentes provinces, reconstruisent l'identité d'Amedeo qui disparaît au même moment qu'on retrouve assassiné dans l'ascenseur Il Gladiatore, un autre habitant du quartier. Amedeo est-il l'assassin ? Et plus encore, qui est-il réellement ? Les points de vue et les vérités de chacun se croisent dans ce polar grinçant inspiré de la tradition de la comédie italienne. Le puzzle se forme page après page et, devant nos yeux, se recomposent, avec subtilité et humour, non seulement l'identité d'Amedeo mais aussi la cartographie des identités confrontées à ce bon vieux principe qui a décidé les hommes des cavernes à chasser en groupe et à partager les coins de grottes : l'inévitable vivre ensemble.