S'il faut se garder de tirer une quelconque conclusion hâtive, il reste que pour l'heure, le seul gagnant est le parti de la... démission. Plus de 23 millions d'Algériens sont appelés aujourd'hui aux urnes pour élire le nouveau Parlement. Mais, à l'inverse des élections locales et de la présidentielle, les élections législatives ne semblent pas emballer les électeurs. Encore plus cette année où au terme d'une campagne terne, sans relief, de trois semaines, on n'a pu mesurer toute l'étendue de la désaffection populaire vis-à-vis d'un scrutin assimilé, aux yeux de beaucoup, comme un tremplin pour une hypothétique promotion sociale. À voir les taux de participation des trois dernières élections législatives, on réalise combien les Algériens sont réfractaires à cautionner l'élection d'un Parlement qui, hormis celui élu en 1997, est perçu comme une caisse de résonance du pouvoir et sans réel pouvoir face à l'Exécutif. En 2002, ils étaient 46% à s'être rendus aux urnes. En 2007, ils étaient seulement 35,65% tandis qu'en 2012, le taux a atteint seulement 42,90%. Et rien ne dit qu'il sera substantiel cette fois malgré les prévisions optimistes de Djamel Ould Abbes. La participation : le principal enjeu C'est parce que le pouvoir redoute une grande abstention qu'il a mis les bouchées doubles dans l'espoir de susciter quelque intérêt chez une population rivée sur la "bourse du marché" et dont le pouvoir d'achat, en berne, est mis à rude épreuve. Outre le tapage médiatique, à travers divers supports de communication, entamé bien avant le début de la campagne, le gouvernement a mobilisé ses représentants et tous ses relais. Alors que Sellal, après une "période d'hibernation", a décidé de sillonner de nombreuses villes du pays, notamment celles où le gisement électoral est important, comme Sétif, Batna et Oran, le ministre des Affaires religieuses, lui, a sollicité les imams, une entreprise qui n'est pas sans susciter un début de polémique, pour sensibiliser la population sur le vote. Même le président de la République n'est pas resté en marge. Dans un message diffusé samedi dernier, il a appelé à un "vote massif". "Votre participation à ce scrutin sera votre contribution personnelle à la stabilité du pays, à la progression de la démocratie dont vous êtes la source, et au développement de notre patrie, l'Algérie, à laquelle nul parmi nous n'a de patrie de rechange. J'en appelle donc notamment à votre attachement à l'Algérie, pour répondre présent à l'appel du devoir et à participer massivement, à l'élection de l'Assemblée populaire nationale", a affirmé le président de la République. Histoire de rassurer, autant les partis politiques engagés dans la compétition, notamment l'opposition, que les citoyens, Bouteflika donne des gages de la transparence du scrutin. "J'appelle l'ensemble des responsables et agents publics impliqués dans cette opération à faire preuve de la plus grande impartialité et à veiller au strict respect des dispositions pertinentes de la loi. J'assure aussi la Haute instance indépendante de surveillance des élections de mon plein appui dans l'accomplissement de sa mission définie par la Constitution et explicitée par la loi. En ma qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature, j'invite également les magistrats à traiter avec diligence et fermeté tout dépassement ou tout acte de nature à porter atteinte à la crédibilité et à la transparence du scrutin, dont ils seront éventuellement saisis (...)". Cette implication tous azimuts du pouvoir, et si l'on y ajoute les appels répétés des partis engagés, suggère que la participation demeure le principal enjeu de cette élection. Ce n'est d'ailleurs pas sans raison que les partisans du boycott sont privés de communication, notamment chez les médias inféodés au pouvoir. Dans ce contexte, il est utile de rappeler la circulaire sur "l'éthique" envoyée par le ministre de la Communication aux médias, leur demandant de ne pas ouvrir leurs colonnes à ceux qui appellent au boycott. Vers la reconfiguration du champ politique ? En dehors de cet aspect, la question que d'aucuns se posent est de savoir si les législatives d'aujourd'hui donneront lieu à une reconfiguration de la carte politique. "Beaucoup de partis vont disparaître après les législatives", avait prophétisé, récemment, le secrétaire général du MPA, l'ex-ministre, Amara Benyounès, dont le parti est arrivé troisième lors du dernier rendez-vous électoral. Si les partis du pouvoir, en l'occurrence le FLN et le RND, semblent en mesure de réaliser des scores à la hauteur de leur ambition au regard des moyens dont ils disposent, de leur ancrage, et qui sait des "coups de pouce" dont ils peuvent éventuellement bénéficier au sein de l'administration, la perspective est imprévisible pour les démocrates et les islamistes. Après avoir réclamé vainement, au sein de la CLTD, l'organisation d'une transition négociée avec le pouvoir, les partis démocrates, faute d'avoir réussi à imposer un rapport de force au sein de la société et faute d'avoir arraché une décision consensuelle de boycott, ont décidé de participer malgré les conditions qui entourent l'organisation du scrutin, notamment l'absence d'une instance indépendante d'organisation des élections, comme ils l'avaient réclamé. Il s'agit aussi de s'interroger si dans le sérail, on ne cherche pas à éliminer les partis dont l'image est encore collée à la crise de 1992, surtout que les "janviéristes" ont presque tous été éliminés. Les islamistes aussi sont logés à la même enseigne. Laminés en 2012, ils entendent rebondir cette fois-ci à travers des alliances dont celles du HMS avec le FC et celle du FJD-Ennahda-Bina. Mais si la première traîne le boulet de la proximité de ses membres avec le pouvoir, il n'y a pas longtemps, notamment pour le MSP, pour la seconde alliance, en revanche, elle pâtit de l'absence de troupes surtout qu'un de ses membres, le FJD, incarne l'image d'un islamisme radical. Reste à savoir quelle sera la place de certains nouveaux venus sur la scène comme le MPA et TAJ, mais dont la forte présence suscite la curiosité. Rôle de la DSS : l'inconnue Mais si au regard de l'analyse du discours politique, il nous a été donné de relever que la participation est l'enjeu principal du scrutin d'aujourd'hui, il reste qu'un autre moins visible semble être à l'origine de l'empressement de l'écrasante majorité des partis à participer : la préparation de la succession au président Bouteflika dont tous s'accordent à dire qu'il lui sera difficile de briguer un autre mandat compte tenu de ses soucis de santé. Cet enjeu s'explique en partie par cette guerre en sourdine que se livrent Sellal et Ouyahia qu'on présente comme de potentiels candidats. Et dans ce capharnaüm politique, tous les observateurs scrutent le rôle de la Direction des services de sécurité (DSS), le service qui a succédé au défunt DRS, autant dans l'élection d'aujourd'hui que dans la préparation de la prochaine échéance présidentielle. Va-t-il s'impliquer, lui qu'on a accusé, jusque-là, à tort ou à raison, de modeler à sa guise la scène politique ? Ou va-t-il laisser se jouer l'élection ? En tout cas, les législatives d'aujourd'hui sont le premier test post-Toufik. S'il faut se garder de tirer une quelconque conclusion hâtive, il reste que pour l'heure, le seul gagnant est le parti de la... démission. Désabusés, lassés des promesses sans lendemain, éprouvés par la crise et la corruption, livrés à une entreprise de dépolitisation, notamment les jeunes, les citoyens donnent des signes de résignation... Une attitude que l'élection d'aujourd'hui risque de ne pas changer... Karim Kebir