Considérée comme un moyen d'exprimer pacifiquement la colère citoyenne et le rejet d'un processus électoral que l'on sait d'avance bien arrangé, l'abstention a, de nouveau, triomphé à l'occasion des législatives du 4 mai. Le taux de participation de 38,25%, annoncé hier matin par le ministre de l'Intérieur, Noureddine Bedoui, est même appelé, en sus, à être revu à la baisse au moment d'intégrer les chiffres très bas relatifs au vote de l'émigration. L'abstention a, donc, été plus importante qu'aux dernières élections législatives de 2012 où le taux de participation avait atteint 42,90%. Le parti de l'abstention reste donc le parti majoritaire dans le pays avec un taux de représentation de 61,75% du fichier électoral et toutes les formations participantes au scrutin réunies, y compris celles qui se vantent d'avoir la majorité des sièges, n'atteignent qu'un peu plus d'un tiers de l'électorat. Comme lors des précédents rendez-vous électoraux, la majorité de la population a préféré faire l'impasse sur ce scrutin. Ces élections interviennent, certes dans un contexte de lassitude générale, générée par une gestion catastrophique des affaires de l'Etat et l'absence d'un véritable dialogue social à même de remobiliser la société face aux nombreux défis qui attendent la nation. Devant la sourde oreille d'un système qui n'est visiblement intéressé que par sa survie quitte à se barricader et à creuser encore plus profond le fossé qui le sépare de la société, les citoyens n'avaient ainsi plus d'autres choix que de bouder massivement la messe à laquelle ils ont été conviés. Le ministre de l'Intérieur a beau trouver le taux de participation à ce scrutin "très appréciable", estimant que "ce taux diffère de ceux des autres élections auxquelles le citoyen accorde un plus grand intérêt". Mais, la réalité n'est pourtant pas de nature à pousser à jubiler. Le fait est là, imposant devant les yeux de nos gouvernants, et c'est, indubitablement, un signe qui ne trompe pas sur le niveau de confiance citoyens-autorités. Et ce serait une nouvelle fois une erreur d'une gravité sans pareil si l'on continue à ignorer de tels signaux en provenance de la société. La mobilisation générale de la quasi-majorité de la classe politique qui a pris part à ce rendez-vous électoral n'a pu venir à bout de la résistance citoyenne qui entendait à travers son abstention exprimer son exaspération face aux nombreuses promesses non tenues. Et même le ton menaçant et toutes les pressions auxquels le pouvoir en place a eu recours avant et pendant la campagne électorale pour contraindre les électeurs à se déplacer en masse vers les bureaux de vote n'ont finalement pas été d'un grand apport pour lui. Le ministre de l'Intérieur pouvait insinuer comme il l'a fait hier que les autorités algériennes auraient pu rendre obligatoire l'acte de voter, affirmant que "la loi algérienne n'impose pas à cette catégorie de s'inscrire sur les listes électorales ou de voter, comme le font plusieurs pays européens". Mais ce qu'il feint de ne pas savoir, c'est que les Algériens semblent avoir découvert un autre moyen de contourner les pressions faites contre ceux qui ne seraient pas tentés de voter. Le vote blanc semble prendre de l'ampleur et devient désormais une autre arme aux mains des citoyens réfractaires à l'acte de voter mais qui redoutent d'éventuelles représailles contre eux. Beaucoup d'électeurs se sont donc déplacés jeudi dans les centres de vote pour accomplir leur devoir électoral sans grande conviction et l'ont fait en mettant un bulletin nul dans l'urne. Cette méthode leur assure un sérieux avantage, celui de pouvoir faire cacheter leur carte de vote et de montrer patte blanche en cas de besoin grâce à l'encre visible sur l'index gauche, preuve s'il en est de l'accomplissement du devoir électoral. Et ce n'était d'ailleurs pas fortuit si le ministre de l'Intérieur avait omis hier matin de révéler le nombre de bulletins blancs enregistrés à l'occasion de cette élection et qui serait, d'après plusieurs sources, extrêmement important à travers le pays. Hamid Saidani