Coup dur pour le petit mais richissime émirat du Qatar, que ses voisins du Golfe arabique viennent de déclarer infréquentable, au motif qu'il leur cherchait noise et finançait le terrorisme. Les membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), sous influence de l'Arabie saoudite, qui ont agi comme d'une initiative longuement concertée, possiblement soumise à l'approbation des Etats-Unis d'Amérique et de l'Europe, ont décidé, hier lundi, de rompre leurs relations diplomatiques avec cette monarchie qui n'était pas, il faut le dire, en odeur de sainteté chez nombre d'Etats, surtout après le rôle qu'elle joua, à travers sa télévision Al Jazeera, dans l'attisement des révoltes qui ébranlèrent le monde arabe en 2011. C'est notamment le cas de l'Egypte qui s'est impliquée tout de suite dans cette bouderie collective à son encontre. On le mesure aussi à l'attitude similaire adoptée par les autorités libyennes parallèles de Tobrouk, fortement soutenue par ces pays. Ces ruptures de relations diplomatiques, qui induisent nécessairement la remise en cause, du moins la suspension des partenariats économiques et des échanges commerciaux, seront d'un grand impact sur les perspectives économiques de l'émirat, mais aussi sur son positionnement géopolitique. Au plan économique, la rupture de l'entente avec ses voisins du CCG se traduira par un arrêt, sinon un rétrécissement des échanges commerciaux, ceci même si le Qatar peut se réconforter de maintenir ses ventes de pétrole et de gaz, tant est que ses gros clients se recrutent en dehors de la sous-région de la péninsule arabique. Membre de l'Opep, le Qatar, qui s'est jusque-là soumis aux décisions du CCG en matière de production de pétrole, pourrait, s'il ressent la nécessité de compenser son isolement, prendre des décisions qui compromettraient l'accord Opep-non Opep sur le maintien (durant 9 mois encore) du plafond de la production pour faire rebondir le prix du baril. Evacué du CCG, Doha voit ses partenariats bilatéraux ou multilatéraux menacés de rupture. Notamment dans l'industrie, à l'exemple de sa participation dans l'Organisation des industriels arabes (OIA), spécialisée dans la fabrication des armements, et qui implique également l'Egypte. Cela dit, au coût économique, inévitable, s'ajoutera certainement une facture géopolitique qui risque, elle aussi, d'être lourde. D'abord, au plan de l'émancipation régionale qui risque d'être gênée par le terrible camouflet diplomatique subi. Le Qatar, désormais émirat solitaire, aura du mal à évoluer au sein d'une organisation comme la Ligue des Etats arabes, sous influence, elle, de l'Arabie saoudite et de l'Egypte. L'absence d'ancrage régional pourrait entraîner la perte d'estime diplomatique, ô combien utile pour les affaires. Et pour un émirat comme le Qatar qui a un appétit vorace pour les acquisitions en Occident et ailleurs, il est à redouter un mouvement de reflux. Surtout que bien avant cette levée de boucliers contre l'émirat, la propension du Qatar à multiplier des acquisitions un peu partout dans le monde agaçait. En France, du moins, le cas Qatar commençait à faire chronique, dans le sillage, il faut le souligner, du débat sur le terrorisme que les attentats de Paris et d'autres villes ont aiguisé. Des voix, certes timides mais suffisamment audibles pour être entendues, commençaient à trouver politiquement peu éthique d'entretenir des affaires avec un Etat considéré comme l'un des principaux financiers du terrorisme. Les choses peuvent aller plus vite, sauf si, encore une fois, l'attraction pour la passation de marché prime le politiquement correct. Sofiane Aït Iflis