Arabie, Emirats, Bahrein, Yémen et Egypte Rupture - Ryad, Le Caire, Abou Dhabi et Manama, suivis peu après par Aden, ont rompu ce lundi avec le Qatar, accusé de soutenir le "terrorisme", et décidé de l'isoler en fermant leurs frontières avec ce riche émirat. La rupture des relations, annoncée avant l'aube, intervient 15 jours après une visite à Ryad de Donald Trump qui avait exhorté les pays musulmans à se mobiliser contre l'extrémisme. Cette crise diplomatique est la plus grave depuis la création en 1981 du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui regroupe l'Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar. Ryad, Abou Dhabi et Manama ont justifié la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar par son "soutien au terrorisme", y compris Al-Qaïda, le groupe Etat islamique (EI) et la confrérie des Frères musulmans. "Le Qatar accueille divers groupes terroristes pour déstabiliser la région, comme la confrérie des Frères musulmans, Daech (acronyme en arabe de l'EI) et Al-Qaïda", a souligné Ryad. Selon l'Arabie, Doha soutient aussi "les activités de groupes terroristes soutenus par l'Iran dans la province de Qatif (est)", où se concentre la minorité chiite du royaume saoudien, ainsi qu'à Bahreïn, secoué depuis plusieurs années par des troubles animés par la majorité chiite de ce pays. Ryad et Téhéran ont rompu leurs relations diplomatiques en janvier 2016 à la suite de l'exécution d'un chef chiite en Arabie. Cette crise intervient alors que les autorités qataries ont affirmé la semaine dernière avoir été victimes de "hackers" ayant publié sur le site internet de l'agence de presse officielle QNA de faux propos attribués à l'émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Ces propos controversés rompaient avec le consensus régional sur plusieurs sujets sensibles, notamment l'Iran, vu comme un allié stratégique alors qu'il vient d'être accusé par l'Arabie saoudite d'être "le fer de lance du terrorisme". Ils contenaient aussi des commentaires négatifs sur les relations entre l'administration de Donald Trump et le Qatar, pourtant un proche allié des Etats-Unis. La visite du président Trump à Ryad, son premier déplacement à l'étranger, avait été couronnée par la signature d'un accord sur "une vision stratégique" pour renforcer les relations économiques et de défense entre le royaume saoudien et les Etats-Unis. Dans un discours le 21 mai à Ryad devant des dirigeants du monde musulman, M. Trump avait appelé à "chasser" les extrémistes et "les terroristes", en référence aux groupes jihadistes, auteurs d'attaques dans plusieurs pays. Il avait aussi demandé à la communauté internationale "d'isoler" l'Iran. Suspension des vols et expulsion des ressortissants n Les compagnies aériennes émiraties Etihad, Emirates et flydubai, ainsi que la saoudienne Saudia ont annoncé ce lundi la suspension de tous leurs vols à destination et en provenance du Qatar, après la rupture des relations d'Abou Dhabi et Ryad avec Doha. Dans des communiqués séparés, les compagnies émiraties Etihad Airways, Emirates et flydubai précisent que la suspension des vols avec le Qatar entrera en vigueur mardi matin "jusqu'à nouvel ordre". Les trois compagnies affirment assurer leurs vols prévus ce lundi et proposer à leurs clients "d'autres options", y compris des remboursements complets de billets.Les diplomates du Qatar ont 48 heures pour quitter leurs postes dans ces pays. Les citoyens qataris ont pour leur part 14 jours pour partir d'Arabie saoudite, des Emirats et de Bahreïn, et les ressortissants de ces trois pays se voient interdire de se rendre au Qatar. L'Egypte a annoncé la fermeture des frontières "aériennes et maritimes" avec le Qatar qui, selon son ministère des Affaires étrangères, "insiste à adopter un comportement hostile vis-à-vis" du Caire. Le Yémen aussi Le gouvernement yéménite a annoncé ce lundi la rupture des relations avec le Qatar, membre de la coalition militaire arabe opérant au Yémen, en l'accusant de liens avec les rebelles Houthis pro-iraniens et de soutien aux groupes jihadistes. Le Yémen a ainsi emboîté le pas à l'Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis, à Bahreïn et à l'Egypte, tous membres de la coalition arabe, qui ont rompu plus tôt les liens avec Doha, accusé de soutenir "le terrorisme". Dans un communiqué, le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi cautionne la décision de la coalition arabe, annoncée dans la matinée, d'exclure le Qatar de cette alliance, et rompt les relations diplomatiques avec le Qatar. Il dénonce ce pays pour "ses exactions, ses liens avec les milices des comploteurs (rebelles Houthis) et son soutien aux groupes extrémistes", en l'occurrence Al-Qaïda et le groupe Etat islamique (EI), fortement implantés au Yémen. Il se dit "convaincu" que la coalition poursuivra ses opérations au Yémen, lancées il y a plus de deux ans pour rétablir le pouvoir du président Hadi après que les rebelles Houthis ont conquis, dès 2014, la capitale Sanaa et de larges parties du territoire yéménite. Le conflit au Yémen a fait, depuis l'intervention de la coalition en mars 2015, plus de 8.000 morts et 45.000 blessés, majoritairement des civils, selon l'ONU. Le Conseil des pays du Golfe, une fragile unité à l'épreuve Entité - Le Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont l'unité a volé en éclats ce lundi après une crise sans précédent avec le Qatar, regroupe des monarchies pétrolières sunnites qui contrôlent le tiers des réserves mondiales de brut. L'Arabie saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, qu'ils ont décidé d'isoler totalement en lui fermant leur espace aérien et leurs frontières terrestres et maritimes. Le CCG, qui comprend aussi le Koweït et le sultanat d'Oman, a vu le jour en mai 1981 en pleine guerre entre l'Irak et l'Iran et deux ans après le triomphe de la révolution islamique à Téhéran qui menaçait de s'exporter dans les monarchies sunnites du Golfe. Les pays du CCG comptent quelque 50 millions d'habitants, dont la moitié sont des étrangers, selon des statistiques du secrétariat général de ce groupement régional. Sur le plan politique, seuls deux pays disposent de Parlements élus: le Koweït et Bahreïn. Les autres ont des conseils en partie élus, sauf en Arabie saoudite et au Qatar, mais qui n'ont qu'un rôle consultatif. Les partis politiques sont bannis dans les six monarchies. Le CCG dispose d'une force militaire commune, le "Bouclier de la péninsule", qui avait toutefois été incapable de prévenir l'invasion du Koweït par l'Irak en 1990. Après la libération du Koweït en 1991 par une coalition conduite par Washington, les Etats du CCG ont signé individuellement des accords de défense notamment avec les Etats-Unis qui, selon le Pentagone, comptent 35 000 militaires dans la région du Golfe. Des troupes du "Bouclier de la Péninsule" se sont déployées en mars 2011 à Bahreïn pour protéger les installations vitales de ce pays en proie à un mouvement de contestation dirigé par des chiites. En dépit d'efforts d'intégration économique, le CCG n'a pas réussi à instaurer une union monétaire et un marché commun alors que l'union douanière progresse à petits pas. Il a instauré la liberté de circulation des citoyens et des capitaux mais des restrictions demeurent sur des centaines d'activités économiques. Les économies des pays membres sont lourdement dépendantes du pétrole, dont les Etats tirent environ 90% de leurs revenus. Les six pays, dont quatre sont membres de l'Opep, pompent actuellement 17 millions de barils par jour, soit environ 18% de la production mondiale et 55% de celle du cartel pétrolier. Pour pallier la baisse de leurs recettes pétrolières consécutive à l'effondrement des cours du brut, réduits de moitié depuis la mi-2014, les Etats du CCG ont prévu d'appliquer à partir de 2018 une TVA de 5%. Le PIB combiné de ces pays, qui avait atteint 1.600 milliards de dollars en 2012, a baissé fin 2016 à 1 370 milliards, selon le Fonds monétaire international. Le revenu moyen par tête d'habitant dans les six pays membres du CCG est d'environ 27 400 dollars. Les avoirs placés à l'étranger par ces pays sont estimés actuellement à 2 400 milliards de dollars. Avec Le Caire, un long feuilleton d'hostilités Le Caire et Doha ont des rapports extrêmement tendus depuis que l'armée égyptienne a destitué le président islamiste Mohamed Morsi en 2013. Le Qatar était l'un des principaux soutiens de M. Morsi et avait dénoncé son éviction par l'ex-chef de l'armée et actuel président Abdel Fattah al-Sissi. Le riche émirat gazier du Golfe a condamné à plusieurs reprises la répression lancée par le régime contre les pro-Morsi. Le gouvernement du Caire a "décidé de mettre fin à ses relations diplomatiques avec l'Etat du Qatar, qui insiste à adopter un comportement hostile vis-à-vis de l'Egypte", a indiqué le ministère des Affaires étrangères égyptien dans un communiqué, qui annonce la fermeture de ses frontières "aériennes et maritimes devant tous les moyens de transports qataris". Le communiqué évoque "l'échec de toutes les tentatives pour dissuader (le Qatar) de soutenir les organisations terroristes", y compris la confrérie islamiste des Frères musulmans, dont est issu M. Morsi. Le Caire accuse Doha "de véhiculer l'idéologie d'Al-Qaïda et de Daesh (acronyme en arabe du groupe jihadiste Etat islamique) et de soutenir les opérations terroristes dans le Sinaï". Le Qatar dénonce Le Qatar a accusé ce lundi ses voisins du Golfe de chercher à le mettre sous tutelle et dénoncé comme "injustifiée" la rupture des relations diplomatiques annoncée par l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn, selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères qatari. Ces mesures sont "injustifiées" et "sans fondement", a réagi le ministère des Affaires étrangères dans le communiqué.Elles ont un "objectif clair: placer l'Etat (du Qatar) sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté" et est "totalement inacceptable", a-t-il ajouté. Le Qatar, membre du Conseil de coopération du Golfe (CCG), a indiqué qu'il "entreprendra les mesures nécessaires pour mettre en échec les tentatives d'affecter sa population et son économie". Le ministère se réfère aux incidences attendues de la fermeture des frontières terrestres et maritimes, et de l'espace aérien par ses trois voisins. A signaler que Qatar Airways a annoncé ce lundi la suspension de ses vols vers l'Arabie saoudite, dont le transporteur national Saudia a pris une mesure similaire pour ses vols vers le Qatar après la rupture par Ryad de ses relations diplomatiques avec Doha, accusé de soutien au "terrorisme". Chronologie d'une crise Voici les principaux faits ayant conduit à la crise sans précédent entre le Qatar et ses voisins du Golfe : - 20 mai : le Qatar se dit victime d'une campagne "mensongère" qui l'accuse de "soutien" au terrorisme avant une visite du président Donald Trump en Arabie saoudite. - 21 mai : l'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, s'entretient en ête-à-tête avec M. Trump à Ryad. - 24 mai : le Qatar annonce que son agence de presse a été "piratée par une entité inconnue" et que de "fausses" déclarations ont été attribuées à son émir. Parmi les sujets cités figurent l'Iran, le Hezbollah, le Hamas et les Frères musulmans, des propos que des médias du Golfe s'empressent de relayer malgré les démentis de Doha qui ouvre une enquête. - 25 mai : "Le Qatar divise les Arabes", titre le quotidien émirati Al-Bayane, tandis que le journal saoudien Al-Hayat affirme que les propos prêtés à cheikh Tamim ont provoqué "une indignation à grande échelle". - 25 mai : le ministre qatari des Affaires étrangères, cheikh Mohamed ben Abderrahmane Al-Thani, dénonce "une campagne médiatique hostile à l'Etat du Qatar" à laquelle, dit-il, l'émirat "fera face". - 28 mai : le ministre d'Etat émirati aux Affaires étrangères Anwar Gargash affirme que les monarchies du Golfe "traversent une nouvelle crise aiguë" et il somme le Qatar, sans le nommer, de "changer d'attitude et de rétablir la confiance et la transparence". - 2 juin: une source officielle à Doha indique que des enquêteurs du FBI américain aident le Qatar à déterminer l'origine d'un "piratage" présumé de son agence de presse officielle. - 5 juin : l'Arabie saoudite, les Emirats, Bahreïn et l'Egypte rompent leurs relations diplomatiques avec le Qatar, ouvertement accusé de soutenir "le terrorisme".