Pour les experts européens, les lois relatives aux partis politiques, aux associations, aux réunions et manifestations publiques et certaines dispositions du code pénal "nécessitent ici d'être amendées". La Mission d'expertise électorale (MEE) dépêchée par l'Union européenne en mai dernier à Alger à l'occasion des élections législatives a rendu publiques ses constatations et formulé ses recommandations sur le sujet, livrant une lecture critique de tous les volets liés à cette opération électorale. La MEE de 2017 a, ainsi, présenté une quinzaine de recommandations jugées "prioritaires" destinées, précise-t-elle, aux autorités algériennes, "particulièrement dans la perspective des prochains scrutins". Si elle se refuse à apporter une quelconque appréciation sur l'intégrité de l'opération électorale en elle-même, malgré les vives réserves émises à ce sujet par l'opposition, la mission de l'UE ne se prive pas de mettre en exergue, par le biais de son rapport, toutes les anomalies constatées dans l'organisation et le déroulement de ce scrutin. À l'évidence, la série d'incohérences, relevées par les experts européens, confirme, si besoin est, l'écrasante mainmise du pouvoir politique sur les opérations électorales dont les résultats se révèlent, toujours, comme par enchantement, favorables à certaines parties. Cadre juridique, libertés publiques et droits fondamentaux, registre des électeurs, indépendance de l'administration électorale, transparence des opérations électorales, traçabilité des résultats des élections législatives, proclamation des résultats et contentieux électoral et, enfin, environnement médiatique... tout est épluché pour démontrer que les choses ne se passent pas comme elles devraient l'être, du moins en comparaison avec les normes démocratiques en la matière. Si elle reconnaît, d'emblée, que la révision constitutionnelle de 2016 a marqué un renforcement des droits et libertés publiques, la Mission européenne relève, cependant, que "certains droits fondamentaux ne sont toujours pas clairement explicités dans la Constitution et traduits dans la loi". Elle considère, à ce titre, que les lois relatives aux partis politiques, aux associations, aux réunions et manifestations publiques et certaines dispositions du code pénal "nécessitent ici d'être amendées". La MEE estime, par conséquent, qu'une transposition des principes de la Constitution dans le domaine législatif en matière des droits fondamentaux, dont les libertés publiques et la liberté d'expression, "est indispensable, afin de garantir un véritable état de droit en Algérie". Elle recommande, dans le même chapitre, de revenir à un système déclaratif comme par le passé dans la gestion des manifestations publiques. La Mission européenne soulève, par ailleurs, la question de l'absence d'un fichier électoral consolidé au niveau national, qui reste une des revendications phares de la classe politique et sur laquelle le pouvoir n'a pas daigné, jusque-là, faire des concessions. "Dressées et révisées au niveau des communes et représentations diplomatiques ou consulaires, l'accès à ces listes demeure extrêmement restreint, privant les parties prenantes du processus d'une possibilité de contrôle effectif de leur fiabilité", déplorent les experts européens qui jugent, ainsi, "indispensable" d'établir officiellement un registre électoral consolidé au niveau national. Ce document qui doit, selon eux, "reprendre les informations présentes sur la carte d'électeur", doit être publié au niveau central et dans chaque circonscription électorale, sur des supports adéquats "afin de permettre aux candidats, aux partis politiques et aux citoyens d'exercer leur droit de contrôle et d'information". Tout en déplorant, de façon indirecte et subtile, le fait que l'organisation des élections "demeure de la seule compétence" du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, l'Union européenne émet des regrets sur le fait que la Haute instance indépendante de surveillance des élections "ne joue aucun rôle dans l'organisation même des scrutins, et ses attributions de supervision et de contrôle restent, de facto, limitées". La MEE souligne, aussi, le fait que "la composition de la Hiise exclut, de facto, les représentants de l'ensemble des candidats ou forces politiques en compétition, alors qu'ils sont les premiers concernés par l'organisation des scrutins". Afin de remédier aux incohérences constatées en la matière, la MEE assure qu'il est souhaitable de renforcer l'indépendance de la Haute instance par rapport au pouvoir exécutif et à ses représentants, en réduisant le nombre de magistrats membres, en y incluant des représentants des partis politiques/candidats. De même qu'elle conseille de revoir les modalités de sélection des membres de la société civile afin, indique-t-elle, "de les rendre plus transparentes et que toutes les composantes issues de ladite société civile y soient représentées". Les experts européens soulèvent, également, la question de la "traçabilité des résultats des élections législatives", insistant, notamment, sur "la publication systématique, au niveau du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, sur son site Internet et en version papier, au moment de la déclaration des résultats provisoires par le Conseil constitutionnel (CC), du détail desdits résultats provisoires, avec une décomposition par wilaya, par commune et par BV". La MEE déclare aussi son incompréhension devant le fait que le Conseil constitutionnel "est à la fois l'organe destiné à corriger, arrêter et proclamer les résultats provisoires, mais aussi l'institution qui statue sur les recours en proclamant les résultats définitifs". Le volet médiatique dans l'opération électorale n'a pas échappé aux experts de l'Union européenne, qui estiment que l'actuel monopole de l'Agence nationale d'édition et de la publicité (Anep) sur la publicité institutionnelle "est contraire au principe de la libre concurrence inscrit dans l'article 43 de la Constitution algérienne". Ils recommandent, ainsi, la promulgation de la loi sur la publicité afin, assurent-ils, "de consolider un environnement médiatique plus libre et conforme aux obligations et normes internationales". De même qu'ils recommandent le renforcement des attributions de l'Arav vis-à-vis du ministère de la Communication et l'installation de l'Autorité de régulation de la presse écrite (Arpe) et du Conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie du journalisme. Au titre de la participation des femmes à cette élection, l'UE constate que, dans la pratique, le système prévu pour obtenir un nombre de femmes élues "se révèle aléatoire et de ce fait inopérant", conseillant "l'établissement d'un nombre minimal de femmes élues par circonscription qui permettrait d'atteindre cet objectif". Hamid Saïdani