Le rapport de MEE UE souligne qu'avant la présidentielle, « il a été procédé à un changement conduisant à la nomination de proches du Président à plusieurs postes importants de l'administration publique et des institutions de la République, à l'image de la présidence du Conseil constitutionnel». L'élection présidentielle du 17 avril 2014, qui a maintenu Abdelaziz Bouteflika à la Présidence pour un 4e mandat, n'a pas recueilli la caution des deux experts de l'Union européenne tant espérée. Invitée par le gouvernement algérien pour «superviser» le scrutin, la Mission d'expertise électorale de l'Union européenne (MEE-UE), composée de deux experts, a rendu des conclusions qui contestent la transparence et la crédibilité d'une présidentielle bien singulière. Dans un rapport de soixante pages, dont El Watan détient une copie, les deux experts ont émis de fortes réserves et formulé des critiques sur le processus électoral. Les critiques portent essentiellement sur le cadre juridique, l'administration électorale et surtout sur le contexte politique dans lequel s'est déroulé le scrutin. Un rapport qui, manifestement, n'a pas été apprécié par Alger, qui a «supplié» Bruxelles de ne pas le rendre public aux risques de faire des vagues. Les deux experts de l'Union européenne entament leur évaluation de la présidentielle en plantant le décor politique aussi particulier qu'inédit. Les enjeux du scrutin présidentiel sont «principalement concentrés autour de la candidature du président sortant à un quatrième mandat, participant à une contestation plus globale du ‘système Bouteflika'. Tout d'abord, le Président, au pouvoir depuis 1999, est affaibli par des problèmes de santé depuis la mi-2013. Absent physiquement depuis le dépôt de sa candidature jusqu'à la fin de la campagne, nombreux sont les interlocuteurs de la Mission qui doutaient de sa capacité à être candidat et donc à assurer une nouvelle fois la charge de chef de l'Etat», mentionnent d'emblée les deux experts dans leur rapport. Plus explicite, ils soulignent que «l'annonce de la candidature de Bouteflika s'est réalisée sur fond de reprise en main des postes-clés de l'Etat. Elle a été précédée par un profond remaniement gouvernemental, en septembre 2013, conduisant au remplacement de près de la moitié des ministres, dont ceux de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères ainsi que la nomination de proches du Président à plusieurs postes importants de l'administration publique et des institutions de la République, à l'image de la présidence du Conseil constitutionnel». Abordant la problématique des libertés publiques, le rapport de l'Union européenne évoque la levée de l'Etat d'urgence qui, paradoxalement, introduit de nouvelles restrictions. «La nouvelle loi régissant le fonctionnement des associations complique leur constitution en remplaçant le régime déclaratif de l'ancienne loi par un système d'autorisation, en renforçant le contrôle sur leurs activités et facilite leur dissolution, les exposant à l'arbitraire des autorités administratives.» «La nouvelle loi sur les partis politiques n'introduit par de changement majeur au régime d'autorisation préalable, mais pose de nouveaux interdits dans des termes très vagues, comme celle de créer un parti contraire aux ‘valeurs et aux composantes fondamentales à la souveraineté nationale', qui renforce le pouvoir discrétionnaire de l'administration. Elle prévoir également la possibilité de dissolution d'un parti qui ‘n'a pas présenté de candidat à quatre élections législatives et locales consécutives au moins', faisant peser une menace sur les partis de l'opposition, qui font le choix du boycott», critiquent les experts de l'UE. Les mécanismes biaisant le processus électoral Commentant les résultats de la présidentielle, les experts de l'UE rapportent que «si la réélection de Bouteflika était attendue, notamment en raison des rapports de forces politiques et des conditions de la campagne, les résultats ont toutefois surpris nombre d'interlocuteurs de la MEE-UE de par l'ampleur de la victoire du Président sortant dès le premier tour». «Au vu de l'absence de traçabilité dans l'établissement des résultats, il apparaît difficile, à ce stade, de se prononcer sur la crédibilité des chiffres annoncés par le Conseil constitutionnel», constatent les experts dans leur rapport. De ce fait, la MEE-UE relève qu'en matière juridique, la réforme du cadre électoral reste «incomplète». L'adoption de la loi organique n°12-01 du 12 janvier 2012 relative au régime électoral a apporté «certaines améliorations au cadre juridique applicable à toutes les élections, toutefois elles n'ont répondu que partiellement aux préoccupations d'une partie des forces politiques et de la société civile qui réclamaient, entre autres, la mise en place d'une administration électorale indépendante et l'assainissement du fichier électoral. Elles ne semblent pas apporter des garanties suffisantes pour assurer la transparence du processus électoral. Censé offrir aux candidats un accès aux informations-clés de l'élection, la commission de surveillance dispose en réalité de prérogatives très limitées», constate le rapport de Bruxelles. «Présenté comme garantie ultime de la crédibilité du processus, le renforcement du rôle des magistrats ne convainc pas toutes les parties prenantes, en raison du manque d'indépendance de la justice», ajoute le rapport. De façon concrète, les experts de l'UE estiment que «la procédure d'établissement des résultats de l'élection continue de manquer de transparence : la mise à la disposition d'une copie des procès-verbaux de dépouillement et de consolidation des résultats aux représentants des candidats ne suffit pas à garantir la transparence du processus ; celle-ci étant considérablement limitée par l'absence d'une réelle traçabilité des résultats». Et d'ajouter que «les dispositions du code électoral applicable au contentieux limitent considérablement les voies de recours légaux, privant les candidats de la possibilité de formuler un recours documenté en contestation de la régularité du scrutin». Pour la MEE-UE, de façon générale, le code en question «fait de nombreux renvois à l'instrument réglementaire pour en préciser les modalités d'application de la loi où complète celle-ci dans le domaine où elle demeure silencieuse laissant ainsi des aspects-clés du processus électoral hors du champ du législateur». «Neutralité de l'administration contestée» S'appuyant sur les doutes exprimés par nombre de leurs interlocuteurs, les deux experts de l'UE relèvent qu'un scrutin organisé «uniquement par les pouvoirs publics est ici perçu comme ‘non crédible' en raison notamment du parti pris supposé de l'administration électorale et des magistrats en général, eu égard aux scrutins antérieurs». «Cette absence de confiance des acteurs du processus apparaît dès lors comme un fait dont il convient ici de tenir compte. Déjà soulevée par la MEE-UE en 2012, la question de la création d'une instance reconnue comme indépendante en charge du processus électoral, surtout, cette option est en principe recommandée par plusieurs textes internationaux reconnus par l'Algérie, notamment ceux du Comité des droits de l'homme de l'ONU et par l'Union africaine», signale encore le rapport. L'autre élément relevé par les experts de l'Union européenne est celui du fichier électoral auquel les candidats n'ont pas accès. «Les listes électorales font l'objet d'une révision annuelle, la commission administrative électorale est chargée d'établir et de réviser ces listes, mais elles ne font pas l'objet d'une consolidation au niveau national ou celle-ci n'a pas été rendue publique, ôtant aux parties prenantes, notamment les partis politiques et les candidats, la possibilité d'un contrôle effectif de la fiabilité du registre des électeurs.» Dans ce contexte, «le refus systématique des autorités de communiquer aux candidats et aux partis politiques, à la société civile ainsi qu'aux observateurs, les données relatives au fichier électoral dans un format compréhensible et vérifiable au niveau national entame alors la transparence du scrutin dès les premières étapes du cycle électoral et affaiblit du coup la crédibilité du processus dans son ensemble», conclut le rapport. Enfin, les deux experts de l'UE n'ont pas manqué de rappeler que les 31 recommandations de la Mission d'observation électorale de l'Union européenne formulées au lendemain des législatives de 2013 concernant «le manque de transparence et l'absence de traçabilité des résultats, la faiblesse du cadre institutionnel et juridique, l'insuffisante indépendance de l'administration électorale et la nécessité d'une participation de la société civile» n'ont pas été appliquées.